Interview : AFRICA RADIO
Journaliste : Nadir DJENNAD (ND), avec la participation de la journaliste Mauricia ILLE
Emission : Le Journal des Auditeurs avec l’invité du jour (Afrique).
Heure : 13h25 Heure de Paris (et podcast).
Contact : n.djennad@africaradio.com
Tel : +33 7 66 66 06 28
Invité du jour : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, économiste, Directeur Afrocentricity Think Tank, depuis Vienne en Autriche.
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Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
Date : Emission le Journal des Auditeurs du 02 août 2022.
Voir : https://www.africaradio.com/l-afrique-face-au-choc-de-l-inflation
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Thème : Selon les derniers chiffres, l’inflation s’envole dans de nombreux pays du continent, en raison principalement de la guerre en Ukraine. +15 % au Burkina Faso, +30 % au Ghana… Quelles mesures peuvent prendre les gouvernements ?
INTRODUCTION :
ND. Nous avons en ligne de l’Autriche, Dr Yves Ekoué AMAÏZO. Bonjour, vous êtes économiste, Directeur du groupe de réflexion et d’influence Afrocentricity. Vous allez nous aider à décrypter l’actualité à travers la montée de l’inflation en Afrique, en Afrique de l’Ouest en particulier.
YEA. Bonjour, Merci pour l’invitation.
ND 1/ Est-ce que selon vous, la guerre en Ukraine est la principale raison de la hausse de l’inflation dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ?
YEA. Non, le conflit en Ukraine n’est pas seul responsable.
Redéfinissons d’abord l’inflation qui est une hausse généralisée des prix dans un espace géographique donné. Quand cette hausse devient autoentretenue, elle peut se traduire par une baisse du pouvoir d’achat au fil du temps, avec plus ou moins de sévérité. Le rythme auquel le pouvoir d’achat diminue se reflète dans l’augmentation moyenne des prix d’un panier de biens et de services sélectionnés sur une période donnée, habituellement le panier de la ménagère comprenant les biens de consommation courante. Mais attention, les chiffres de l’inflation provenant des statistiques africaines sont souvent loin de refléter la réalité sur le terrain. Ces chiffres sont souvent en deçà de la réalité. Donc l’inflation serait en fait plus importante encore que ce qu’indiquent les chiffres qui demeurent des moyennes.
ND 2/ Quelles sont les autres raisons ?
YEA. Mais, dans un monde interdépendant et globalisé, il faut noter pour l’Afrique les contraintes de la logistique, de la corruption et du transfert de l’inflation provenant des biens importés. Aussi, la hausse du transport et de la logistique, les mauvais états des infrastructures, les check-points informels sur les routes africaines et l’importation massive de produits non produits en Afrique sont à mettre en exergue. Toutefois, les conséquences de la crise sanitaire des coronavirus, le stockage par des commerçants véreux et la crise énergétique et logistique doublée du problème de l’approvisionnement à partir de la Russie et de l’Ukraine n’ont fait qu’aggraver une situation fragile. C’est donc l’absence d’anticipation et la mauvaise gouvernance en Afrique liée à la priorité aux importations au lieu de produire et consommer local dans l’économie de proximité qui explique que la hausse des prix en Afrique risque de n’être pas conjoncturelle mais structurelle.
ND 3/ Selon le directeur du PAM, « la situation est en train de devenir incontrôlable », est-ce que vous partagez son pessimisme ? »
YEA. Le directeur du programme alimentaire mondial est dans son rôle. Il a besoin de financement pour assurer sa mission et doit alerter. Mais, c’est vrai que les poches de pénurie notamment dans la région du Sahel se sont multipliés du fait du terrorisme, de la déstabilisation, de la sécheresse et surtout des embargos illégaux de l’UEMOA et de la CEDEAO. De là à dire que la situation deviendra incontrôlable, c’est croire que les Africains sont incapables de produire et ne sont pas habitués aux crises multiples comme la sécheresse, le terrorisme, l’absence d’infrastructures, etc. Non, je ne partage pas son pessimisme. J’estime même que c’est en définitive une chance pour les Africains qui ont pris conscience de erreurs stratégiques des politiques de leurs dirigeants et vont s’organiser à produire local, dans la proximité pour servir et consommer local dans le cadre de chaines de valeurs courte, c’est-à-dire en évitant autant que faire se peut les importations venant d’occident. Cela devrait même promouvoir l’intégration régionale et la solidarité. Sauf si certains dirigeants africains se sentent obligés de mettre en place des sanctions illégales contre des pays enclavés et ne pas les respecter dès qu’il s’agit d’importer des moutons pour la fête musulmane de la Tabasky…
ND 4/ Que peuvent faire les gouvernements de ces pays pour éviter que l’inflation ne grimpe plus ?
YEA. Les gouvernements concernés savent ce qu’il faut faire :
Réduire au maximum la dépendance en important moins tous les produits qui peuvent être produits en Afrique et inciter les populations à les consommer.
A court terme, les Etats devraient promouvoir et accompagner le secteur privé avec des règles de transparences commerciales. En réalité, ceux qui produisent ne se retrouvent pas ensemble pour discuter de l’évolution des prix. Par exemple, l’agriculteur qui produit de la banane plantain, même aidé par l’Etat, pourrait ne pas profiter des aides de l’Etat si le transporteur qui achemine les produits vers les marchés augmentent ses prix du fait de l’augmentation du prix de l’essence, idem pour la personne qui s’occupe du stockage, de la conservation, et de la commercialisation. Il faut donc nécessairement organiser des groupes d’intérêts économiques et environnementaux dans le cadre de chaines de valeurs ajoutés locaux, le tout dans des circuits courts.
De plus, l’Etat doit accompagner par des incitations aux producteurs locaux, le contrôle de la spéculation de certains commerçants indélicats qui stockent pour écouler leur marchandise en temps de crise, réduire drastiquement les importations de produits de dépendance, promouvoir la performance de la logistique en organisant les chaînes de valeurs dans des circuits courts, baisser les coûts de facteurs élevés, et bien sûr lutter contre la corruption, la fraude commerciale, l’évasion fiscale et les biens mal acquis.
Le problème est de s’interroger sur votre « apriori » consistant à croire que tous les gouvernements africains travaillent pour leur peuple respectif. En réalité, beaucoup de ces dirigeants africains travaillent d’abord pour des intérêts étrangers, et en profitent pour travailler pour eux-mêmes et leurs réseaux clientélistes. C’est ce quiproquo qui déroute de nombreux africains. Mais la prise de conscience est en train de gagner du terrain grâce aux informations diffusées par la Diaspora africaine et les panafricanistes.
A long terme, ce sont des actions dans les différents domaines concernés. Pour l’agriculture et l’alimentation, il s’agit d’investir dans l’accès à l’eau et l’irrigation. Pour l’énergie, c’est revaloriser, les mini-barrages hydroélectriques, la géothermie, le solaire et les éoliennes sans toutefois créer une nouvelle dépendance et en respectant l’environnement et la biodiversité. Pour la transformation sur place, c’est l’industrialisation dans le cadre de chaines de valeurs courtes. Pour la santé, c’est revaloriser la pharmacopée africaine et promouvoir les principes actifs non déstructurés. Pour le transport et la logistique, c’est réaliser rapidement les instruments de communication physique (route, port, etc.) et électronique (internet, etc.) … Enfin, le manque de liberté et d’égalité dans l’environnement des affaires et la justice ne sont pas étrangers à la hausse de prix. Bref, c’est l’ensemble de ces coûts de facteurs qui doivent baisser.
ND 5/ Est-ce que la crise de la Covid-19, et là, la guerre en Ukraine, a montré aux Africains les insuffisances de la coopération internationale et les dangers de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, en particulier pour les approvisionnements, les aides ou les financements ?
YEA. Oui, la guerre en Ukraine a mis en valeur les incohérences structurelles des politiques d’importation et d’alimentation choisis par les décideurs africains. Pourquoi doit-on manger du pain avec le blé ukrainien, alors que le pain avec la patate douce et la banane plantain est excellent et comprend de meilleurs éléments nutritifs. L’igname par exemple a besoin de peu d’eau et donc est adapté à l’Afrique. Le blé appauvrit le sol et est budgétivore en termes d’eau… Bref, ce sont des choix politiques que les Peuples africains ne devront plus laisser à des politiciens qui n’ont pas les mêmes priorités que le Peuple africain.
ND 6/ Selon les derniers chiffres, l’inflation s’envole dans de nombreux pays du continent, en raison principalement de la guerre en Ukraine. +15 % au Burkina Faso, +30 % au Ghana…Quelles mesures peuvent prendre les gouvernements ?
YEA. Même si cela pose problème, il s’agit d’abord des conséquences d’une mauvaise gouvernance et des choix stratégiques erronés de certains dirigeants africains afin de contrôler un marché local par un réseau des membres de leurs familles et de leurs clientèles partisanes. Le Ghana n’avait pratiquement pas de dettes avant l’arrivée de l’actuel président. Au cours de son règne, le Ghana qui a pourtant du pétrole, se retrouve à demander l’assistance du Fonds monétaire international pour éponger des déficits budgétaires colossaux, essentiellement liés à de la corruption. Alors, il faut d’abord s’assurer que ceux qui dirigent un pays, sont élus sur la base de la vérité des urnes. Ensuite, stopper la corruption et bien sûr alors organiser l’économie de proximité et d’intégration régionale sur la base de promotion de chaines de valeurs ajoutées à partir des produits et biens africains qui doivent être en priorité consommés dans la proximité. On ne fait du pain avec la patate douce et la banane plantain pour aller le vendre à Paris ou à Tokyo, mais pour satisfaire le marché intérieur ou régional en priorité. Pour cela le coût de l’électricité, des infrastructures, de l’accès à l’eau et de la bureaucratie des gouvernements africaine doit baisser. Il faut donc des solutions structurelles. Au plan conjoncturel, il importe d’éviter que la grande majorité de la population ne tombe en dessous du seuil de pauvreté, soit moins de 2 dollars environ par jour. Les dirigeants africains paient le prix des erreurs stratégiques passées avec l’inflation à deux chiffres et la baisse structurelle du pouvoir d’achat des populations. Les émeutes de la faim menacent. Mais l’inflation n’est pas une fatalité, mais une organisation humaine. Donc les humains conscients de la situation et s’ils sont placés aux centres des décisions en faveur du Peuple africain, peuvent résoudre ce problème et même stopper ses chances de récidives…
Je vous remercie. YEA.
2 août 2022.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO.
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