Note de lecture : Dina Mahoungou (2012). « Les Parodies du bonheur », édition Bénévent, Nice. 150p. – 13,50€.
« Les parodies du bonheur », un recueil de huit nouvelles qui construisent un pont entre le natal de l’auteur et le pays dans lequel il vit depuis plusieurs décennies. La mort, la politique africaine construite sur la monstruosité du pouvoir, l’amour idyllique, tels sont les principaux thématiques que développe Dina Mahoungou avec une écriture directe et incisive.
Quand la mort accompagne les personnages de Dina Mahoungou
Après 23 ans d’absence, le personnage de Mahoungou (quand le narrateur se confond à l’auteur) dans « La Dormition de Denise » revient au Congo et découvre sa mère Denise rongée par un cancer de l’utérus. Au cours de la réunion familiale, le héros-narrateur, accompagné par ses enfants, réalise les métamorphoses de la vie du village qu’il a quitté depuis. Tout y semble nager dans la tristesse. Les enfants qui y rêvaient vivre le pittoresque sauvage africain constatent que leur père est en train de « suivre » la mort de leur grand-mère. A 53 ans, la mère du héros-narrateur a été meurtrie par la maladie. Et c’est avec peine que l’enfant vit ses derniers moments : « Les gens autour d’elle étaient bouleversés (…) ses derniers jours étaient une mise à mort en direct (…). Je voyais se disloquer ce que ma vie avait vénéré… » (p.20). Aussi, avec la mort de sa mère, le héros se découvre solitaire face à l’infini de la vie : « A ce jour, je suis devenu solitaire (…) ma mère avait emmené avec elle ou en elle mon peu d’amour et de liberté » (p.28). Le thème de la mort qui est souvent un leitmotiv de l’auteur car déjà longuement abordé dans son roman « Agonies en Françafrique », accompagne presque la plupart de ses personnages. Les quatre musiciens dans « Le chant des douves » trouvent la mort après leur énigmatique destin qui tourne autour de l’histoire de la vieille Simone internée dans un hôpital psychiatrique. Et c’est avec une note triste que se termine l’histoire du « Chant des douves » : « A cette mort atroce des musiciens, la voix de la fée (…) vaut un pesant d’or depuis longtemps… » (p.150). C’est dans « Le sens du combat » qu’elle crée un pont entre la fiction et la politique. Apparaît dans l’histoire de la jeune Bertille une catastrophe quand les militaires, dans l’exercice de leur métier, distribuent la mort à une partie de la population en rébellion. Mais la mort dans ce livre n’a pas la même signification. Elle souligne une grande perte familiale dans le premier texte quand le personnage de Mahoungou, le héros-narrateur, se trouve confronte au décès de sa mère. Elle est violente dans « Le sens du combat » quand Tata Rumba et ses partisans essaient de résister contre les militaires du pouvoir : « Du côté des partisans de Tata Rumba, une grosse mitraillette tirait à partir des buissons, des centaines de militaires trouvèrent la mort » (p.103). Et cette mort violente, constatée dans cette cinquième nouvelle, fait écho à certains pays africains dirigés par des hommes de paille.
« Les parodies du bonheur » : la caricature des dictateurs africains
Comme la plupart des écrivains contemporains du continent, Dina Mahoungou s’attaque aux pays africains martyrisés par les dictatures militaires. Aussi, des pays imaginaires du livre reflètent certains quotidiens réels du continent. Dans « Les derniers jours des Kérébé », l’auteur nous présente l’Afrique des dictateurs avec ses tristes réalités à travers le personnage du président Kérébé. Celui-ci, soupçonnant un complot qui pourrait le renverser, se réfugie sur une île qui est une caserne militaire car abandonné à lui-même par quelques uns de ses proches : « Kérébé, ancien président à vie qui croyait avait l’autorité du talent et de la vertu, se résignait désormais seul, abandonné de quelques uns de ses amis » p.41). A l’image de certains pouvoirs en Afrique, le dictateur ne peut que constater la fin de son pouvoir prédit par Lukuta, le féticheur de sa femme. Aussi, la destruction de l’île Posso Posso va annoncer la fin de sa dynastie. L’image indécente du pouvoir africain se reflète aussi dans « La tragédie des Zola-Bantou » avec la dénonciation du tribalisme et du rejet du communautarisme. Des jeunes révoltés et leur famille sont interdits de séjour pendant 20 ans dans la capitale du pays où la dictature et la tyrannie se vivent au quotidien : « Pour museler l’irrédentisme, le pouvoir avait recours à des escadrons de la mort qui avaient encerclé toute la tribu et infiltré tous les points chauds de la ville » (p.57). Et le cynisme de l’homme politique se dévoile dans « L’enfer, à l’exclusion de tout autre lieu » à travers l’incarcération de Oulipo, un prisonnier politique. Louise Eugénie sa femme est obligée de se « dévergonder » pour le libérer de cette situation. Malheureusement la cruauté et l’animalité du politique prendront le dessus sur elle : son homme trouvera la mort suite à une torture : « La jeune Lari experte en cruauté s’était mise en devoir de lui labourer la verge à l’aide d’une scie à métaux, elle lui trancha la langue à l’aide d’un couteau suisse… » (p.81). Le sadisme du politique africain se découvre aussi à travers le personnage du maréchal dans « Le sens du combat » qui épouse agréablement le tragique. Dans ce texte, l’homme politique évolue dans le sadisme, comme le précise Dina Mahoungou : « Ici, le sadisme est érigé en règle de conduite ; des ballets de 4×4 voraces des soldats de la force tranquille entourés des blindés des cadors de la milice populaire dissèquent les faits et gestes dans tout le territoire » (p.90). La femme dans « La tragédie des Zola-Bantou » épouse l’image de militant d’avant-gardiste comme la jeune Samba dia M’Poukou influencée par la pensée philosophique de Sartre. La femme dans « Les parodies du bonheur » se voit humiliée quand l’homme montre son cynisme en profitant de la « violer » comme dans « L’enfer à l’exécution de tout autre lieu ». Mais une autre image plus gaie de la femme nous est présentée par Dina Mahoungou.
Femmes, amour et érotisme dans « les parodies du bonheur »
Malgré l’acidité de quelques pans des diégèses rapportées et la bestialité du politique africain que dénoncent certains textes de l’ouvrage, celui-ci « parodie le bonheur » de l’homme à travers le sensuel et la sensualité de la femme. C’est dans les trois dernières nouvelles du recueil que la femme se découvre « érotique » à travers les souvenirs qui sont contés par les narrateurs. Dans « Le sens du combat », Lise Bertille, fille du ministre au pouvoir, se découvre sexuellement après 19 ans de puberté, et son érotisme se voit multiplier par cinq pour rattraper le temps perdu : « [Elle] venait de (…) perdre la dignité de la qualité (…). Un lieutenant d’intendance, un commis de cuisine, un tireur d’élite, un plombier-zingueur, un margeur massicotier en imprimerie faisaient la joie de sa nymphomanie maladive » (p.89). C’est dans les bras du lieutenant que Bertille fait éclater son érotisme : « Les mains du lieutenant (…) enveloppaient les seins de Bertille. Celle-ci soupirait comme une fille follieuse. (…) [La bouche de l’homme] suçotait tout le corps en répression, c’était une promenade sensuelle et fougueuse sur le corps de la fille » (p.91). Une scène de ce genre : l’histoire d’Adama dans « Don juan, roi de la brousse », un sans-papier, expulsé de France, dont le récit rappelle les aventures sentimentales avec une certaine Lebowska qui lui avait promis des papiers pour vivre avec elle : « [Lebowska] était à un tel état d’excitation qu’elle hennissait (…). Après ils s’étaient déshabillés, le pauvre Adama plein de courbatures (…) avait dégagé l’ultime jet. Un jet précipité bien déchargé entre les grosses cuisses de la truie. » (p.122). Et dans « PaoloTiti », se découvrent les souvenirs d’un autre narrateur qui exalte son amour pour Marie-France : « Je respire le parfum de ses aisselles. Toute joie bue dans ce corps olivier entre la bouche et les cuisses » (p.136).
« Les parodies du bonheur » : des textes couleur kongo et française
S’il est un point qui caractérise « Les parodies du bonheur », c’est le trait d’union que trace Dina Mahoungou au niveau du littéral entre les réalités kongo et françaises. Dans le texte s’y révèle une sorte d’autobiographie : « La plupart des gens avaient une démarche polie de nous saluer mon petit-frère Joseph Mahoungou et moi » (p.26). Une grande partie des patronymes des personnages appartiennent aux réalités kongo et française. Ta Boumpoutou (p.13), Ta Kongo (p.23), Samba dia M’Poukou (p.55), Yala Vounga (p.56) sont des noms kongo qui côtoient les français tels Laurent Georges (p.24), Nathalie Rottier (p.26). Dans l’univers romanesque, on constate que les histoires rapportées se passent en France et au Congo : « A 23 ans je revins de France, mes premières vacances au Congo » (p.19). Le récit de « Paolo Titi » se passe en France. Adama, le sans papier dans « Don juan 98 : Roi de la brousse », après sa mésaventure en France, va se retrouver chez lui à Mavoula-Kongo. Mais c’est au niveau du scriptural que l’auteur donne une autre dimension fictionnelle au livre. Il crée des lieux qui définissent le « métissage culturel » créant un pont entre les réalités kongo et françaises, particulièrement dans « La dormition de Denise » avec des endroits comme « Mabaya-la-Foyère aux hulots », « Louingui-les bosquets » et « Yanga-sous-bois » (p.15).
Les parodies du bonheur, un livre qui mérite plusieurs lectures à cause de la richesse de ses thématiques. Se remarque dans ce livre un travail au niveau du littéral : la mise en abyme de la littérature dans « Paola Titi » et l’isotopie de l’eau dans « Le chant des douves ». Il y a aussi dans cet ouvrage un autre style de récit : la revalorisation des cultures kongo et française. Un style qui paraît propre à l’auteur qui vit au carrefour de ces deux cultures. « Les parodies du bonheur », un livre qui mérite un autre regard des critiques traditionnelle et moderne pour en découvrir son substantifique moelle.
Noël KODIA