Emission : Le Débat du Jour
19h10 – 19h30
Journaliste : Jean François CADET
Assistante : Leslie Carretero
Thème : Croissance mondiale : quel rôle pour l’Afrique ?
Contribution de l’invité : Dr Yves Ekoué Amaïzo, Economiste et Directeur de Afrology Think Tank et Afrocentricity Think Tank
Débat entre les invités : Enda Tiers-Monde, Afrology Think Tank et Banque africaine de Développement
Noms des invités :
- Jacob Kolster, économiste, directeur régional pour l’Afrique du Nord à la BAD (Banque Africaine de Développement).
- Taoufik Ben Abdallah, économiste, directeur des programmes de l’organisation ENDA Tiers-Monde (Environnement et développement du Tiers-Monde).
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1. Croissance économique de l’Afrique depuis plus de 10 ans mais le PIB/hab. n’a fait que régresser (3,3% en 2002, 4,1 en 2007 % pour tomber à 1,1 en 2011.
La croissance économique de l’Afrique en 2011 mesurée par la croissance annuelle moyenne du Produit intérieur brut selon la Banque africaine de développement a été de 3,4 % pour l’ensemble de l’Afrique alors que la croissance du PIB par habitant n’est que de 1,1 %.
L’Afrique soutient la croissance mondiale mais cela ne profite pas aux populations globalement. Alors quel rôle pour les dirigeants africains ? Car c’est d’eux dont il s’agit ? Leur rôle est de s’assurer que les fruits de la croissance profitent d’abord aux populations africaines et pourquoi pas, tenter d’apporter dans un deuxième temps d’apporter son soutien à la croissance mondiale mais cela ne doit pas se faire aux dépens des populations. Le problème est que c’est justement l’inverse aujourd’hui.
Cette problématique fait partie du thème retenu par la Banque africaine de développement lors de ses prochaines réunions annuelles à Arusha en Tanzanie, du 28 mai au 1er juin : « L’Afrique dans la croissance mondial 1 ».
Pour le FMI (Perspectives économiques, avril 2012), l’Afrique subsaharienne a atteint 5,1 % de croissance de son PIB, mieux que l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient avec 3,5 % en 2011. Les projections demeurent positives en 2012 avec 5,4 % pour l’ASS et 4,2 % pour le MO-AN, idem en 2013, avec 5,3 % pour l’ASS et 3,7 % pour le MO-AN.
Rappelons que la France a atteint 1,7 % de croissance du PIB en 2011, taux estimé autour de 0,5 % en 2012 et 1 % en 2013 alors que la zone euro serait en récession avec -0,3 % en 2012 et 0,9 % en 2013. L’Union européenne avec 0 % en 2012 et 1,3 % en 2013 ne soutient pas la croissance mondiale 2.
2. Nouveau rôle de l’Afrique avec l’accroissement du commerce entre PED ou/et pays émergents
Le volume du commerce mondial (biens et services) est passé de 12,9 % en 2010, pour tomber à 5,8 % en 2011. Les projections du FMI sont de 4 % en 2012 et 5,6 % en 2013. Mais en 2012, ce sont les économies émergentes (EE) et les économies en développement (ED) qui soutiennent les échanges, avec 8,4 % des importations en 2012 contre 1,8 % pour les économies industrialisés (EI) et pour les exportations, 6,6 % pour les EE et ED contre 2,3 % pour EI.
Autrement dit, le nouveau rôle grandissant de l’Afrique est de s’assurer une part de plus en plus grandissante quantitativement et qualitativement dans les échanges sud-sud notamment avec les économies émergentes remplaçant de plus en plus les pays riches industrialisés (Etats-Unis, UE, Japon) dans le commerce mondial.
3. Démondialisation et déglobalisation : est-ce que l’Afrique va en profiter des délocalisations ?
Clarifions la notion de déglobalisation ou de démondialisation : il ne s’agit pas de protectionnisme comme pourrait le laisser croire les réflexes de certains dirigeants des Etats occidentaux mais d’un processus de baisse continue de l’interdépendance et de l’intégration des économies entre elles. En fait, ce processus est asymétrique et semble fortement augmenter entre l’Afrique et les pays émergents et moins avec les pays riches industrialisés. Mais il n’y aura pas de démondialisation sans la fin de la dérégulation de l’économie mondiale. En réalité, pour l’Afrique, la plus grande interdépendance avec les économies émergentes ou avec le continent asiatique ou Amérique latine ne doit pas se limiter à la vente de matières premières non transformées. Il faut nécessairement introduire du contenu technologique et développer les capacités productives. Autrement dit, est-ce que les délocalisations des pays émergents ne se feront pas vers l’Afrique ? L’Ethiopie et l’Egypte sont les premiers exemples.
Le secteur choisi est déterminant. Il s’agit de profiter de l’avantage compétitif de l’Ethiopie dans la production locale de cuir, ce qui a permis l’implantation d’usines de chaussures avec comme objectif de les vendre sur les marchés des Etats-Unis et de l’Europe. Profitant de la zone franche de Port-Saïd en Egypte, un groupe chinois a choisi de produire des vêtements à bas prix pour bénéficier du « made in Egypt » qui passe mieux que le « made in China »… Pour les vêtements, la Chine est déjà à Haïti. En termes d’emplois et de salaires distribués, cela a grandement aidé lors du tremblement de terre dans ce pays. Ainsi, pour préserver leur marge, le niveau faible des salaires dans un pays devient un critère déterminant. La course vers le bas des salaires des investisseurs étrangers (chinois en particulier) pourrait ne pas servir les intérêts de l’Afrique à terme.
4. La croissance de la zone franc pour aider la France ?
Avec la crise solvabilité de certains pays dans l’Union européenne, certains pays de la zone francophone ayant en commun l’utilisation du Franc CFA ne seront pas invités à soutenir la France si la crise devait se prolonger et la croissance ne pas être au rendez-vous dans les temps. Plus grave, si la Grèce sort de l’Euro, les conséquences pour les banques françaises seraient telles que les vieux réflexes d’utiliser l’Afrique comme une variable d’ajustement pourraient resurgir.
5. La Banque des BRICS viendrait-elle soutenir la croissance de l’Afrique ?
Il faut savoir qu’il y a en fait au moins deux grandes catégories d’économies africaines : celles qui ont une marge de manœuvre économique et celles qui soutiennent vraiment la croissance sans être totalement indépendantes. Il s’agit principalement des pays exportateurs de pétrole et les pays à revenu intermédiaires (Nigeria et l’Afrique du Sud par exemple). Pour toutes les autres, notamment les économies fragiles, le besoin en financement est crucial avec des remboursements sur le long terme. Aussi, avec l’assèchement des financements des pays européens et industrialisés en général, parfois l’octroi de crédit est utilisé comme une arme, les pays africains vont disposer, en dehors de la Banque africaine de développement, d’un nouvel instrument indépendant des pays occidentaux que peut constituer la Banque des BRICS laquelle pourrait soutenir leur croissance économique.
6. Le mot pour conclure :
Les dirigeants africains restent malgré tout dans leur grande majorité peu préoccupés par une défense des intérêts des populations notamment dans les zones rurales. La répartition des fruits de la croissance se limite à des clans, des ethnies qui oublient souvent d’investir dans l’humain et dans les Africains… Alors les fruits de la croissance mondiale doivent pouvoir bénéficier aux Africains mais malheureusement, le PIB/hab. est en régression depuis 2007 avec 4,1 % pour tomber à 1,1 % en 2011. Il y a donc un sérieux problème de gouvernance et la corruption peut en expliquer une partie, mais aussi la déresponsabilisation collective des dirigeants africains face aux enjeux de puissancedans le monde.
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