Malgré le risque élevé que présente le COVID-19, l’Afrique s’en sort mieux qu’ailleurs. Il y a moins de morts. De ce fait, le G20 n’est pas prêt à effacer la dette africaine 1, encore moins le service de la dette.
La « bonne idée du G20 », le Groupe des pays riches et émergents, consistant à annuler une partie de la dette africaine, aurait-elle disparue au profit d’une « fausse bonne idée 2 » autour d’une suspension temporaire de ses créances sur l’Afrique ? Tout converge vers cet état de fait !
C’est en avril 2020 que l’initiative de suspension temporaire des paiements de dette de la dette publique et officielle de 73 pays a été approuvée bien que 43 (voire 46) pays seulement se soient inscrits à ce jour. La prolongation de 6 mois est intervenue à la mi-octobre 2020 se terminera au 30 juin 2021. Les réunions du G20 au printemps 2021, permettront de décider si le programme devra être prolongé à nouveau pour six mois supplémentaires.
1. RÉSILIENCE AFRICAINE : RÉSISTANCE AU COVID-19
Ce sont les économies africaines le plus extraverties et dites « intégrées » dans les chaines de valeurs mondiales qui se retrouvent avec le nombre le plus important de cas confirmés du coronavirus COVID-19. Il convient de citer l’Afrique du Nord avec l’Égypte, le Maroc et l’Algérie, l’Afrique australe avec l’Afrique du Sud, l’Afrique de l’Ouest avec le Nigeria et l’Afrique de l’Est avec l’Éthiopie. Les solutions africaines ne reposent pas sur la capacité hospitalière relativement faible, ni sur les importations de fournitures médicales. Celles-ci grèvent d’ailleurs les budgets des États et absorbent les maigres devises, sans compter la bouffée d’oxygène offerte par le rééchelonnement d’une partie des remboursements de dettes reportées à juin 2021 par le G20.
Grâce à l’expérience accumulée par l’Afrique du fait des pandémies passées et le retour actif et volontaire vers l’utilisation de la pharmacopée locale 3, peu chère, naturelle et efficace en prévention, l’Afrique compense, tant bien que mal, les faiblesses structurelles de son organisation sanitaire et ses politiques d’importation -et non de production- de matériels de santé en Afrique. Le fossé digital demeure un vrai problème même s’il y a des progrès dans certains pays comme le Kenya. Mais, il n’y a à ce jour pas encore d’efficacité collective du fait d’une absence de planification et d’anticipation de l’organisation de la société africaine émergente autour de l’utilisation du numérique au service de la santé.
Ce défi de l’économie digitale ne pourra être relevé que par des efforts collectifs internes aux Africains et une prise de conscience des autorités internationaux et bilatéraux. Il faudra s’assurer alors qu’un fond de solidarité mondial soit créé avec de l’argent frais et moins avec des reports du paiement du service de la dette publique. Ce fond de solidarité mondiale, s’il venait effectivement à voir le jour, ne devra pas servir d’abord à alimenter la corruption, ni le déficit budgétaire chronique ou encore moins des pans entiers d’acteurs dépendants de l’État africain ou d’agents indélicats faisant semblant de travailler pour l’Etat et travaillant en réseaux avec le monde extérieur.
Le coronavirus COVID-19 va peut-être contribuer à bouger les lignes et favoriser les décisions collectives sur le continent africain.
2. DÉCISION COLLECTIVE AFRICAINE : NI CONFINEMENT TOTAL, NI COBAYES POUR LES « AUTRES »
Face au COVID-19 sur le terrain, il faut s’organiser. Alors les États qui ont les mieux anticipés, sont aussi ceux qui ont les meilleurs résultats actuellement. Malheureusement, il faut bien déplorer l’absence de décision collective africaine sur le refus du confinement intégral des populations et le refus de servir de cobayes pour des futurs vaccins devant profiter aux « autres ».
Autrement dit, la nouvelle conditionnalité du G20 consistant à ne plus fournir une « aide au développement » mais à simplement octroyer un report du paiement du service de la dette, ne peut devenir un objet de chantage pour obliger à confiner, ou à utiliser les citoyens africains comme un terrain d’expérimentation de cobayes humains pour le développement de vaccins pour des non-Africains.
Aussi, il ne faut surtout pas opter pour le confinement total, mais limiter les déplacements, promouvoir la prévention à partir de la pharmacopée africaine et organiser systématiquement le bon respect des gestes barrières. Il s’agit notamment du port des masques, la distanciation sociale, le nettoyage systématique et régulière du corps et des points de contacts humains, l’aération des espaces clos, et l’information régulière et non déformée au profit des lobbies pharmaceutiques.
Les populations africaines ne peuvent devenir des cobayes avec souvent l’accord de certains chefs d’Etat africains. La capacité existe de produire des vaccins à partir de principes actifs des plantes africaines qui, administrée à un individu ou à un animal, devrait lui conférer une immunité à l’égard de l’infection provoquée par le coronavirus – COVID-19, ce qui peut être utilisé à des fins préventives comme curatives. Enfin faut-il pouvoir le mettre à disposition à des faibles coûts pour les populations !
Il s’agit pour l’Afrique de relever le défi de la prévention dans le domaine de la santé par la valorisation de sa pharmacopée locale et ancestrale, à l’image du retour à la médicine traditionnelle et à la pharmacopée en Chine.
L’amélioration des capacités de test pour un diagnostic rapide et peu couteux pour les populations doit pouvoir permettre de donner la priorité aux personnels soignants en Afrique.
Mais le nœud du problème demeure la faiblesse de la production en Afrique de solutions sanitaires. L’État africain ne fait pas assez.
3. EXONÉRATION POUR PRODUIRE ET FOURNIR DES SERVICES DE SANTÉ EN AFRIQUE
La défiscalisation à 100 % de tout transfert de technologie ou toute délocalisation d’usines de fabrication en Afrique de biens aux services de la santé aurait dû devenir une obligation pour tous les États africains.
Mais là encore, le piège consistant à « recevoir de l’aide » et à reporter dans le temps, la volonté et la possibilité de produire africain, est devenu un virus contagieux au sein de la galaxie des chefs d’État africains.
Ce virus mutant n’a pas véritablement touché le Nigéria, puisque ce pays dirigé par Muhammadu Buhari, a produit récemment un équipement dédié à des soins curatifs, à savoir un « premier ventilateur, Made in Nigeria ». Le Ghana a développé un test qui fournit des résultats en 20 minutes et le Sénégal travaille sur l’accès aux kits d’autodiagnostics à des coûts abordables 4.
L’autre défi majeur pour les dirigeants africains suppose une organisation collective, au moins sous-régionale, pour ne pas se faire piéger par les lois, parfois iniques et dolosives, en matière de propriété intellectuelle qui empêchent les médicaments, les solutions et certains équipements disponibles ou à venir au plan international dans le domaine de la santé publique, d’être mis à disposition des populations africaines, ce à des conditions abordables, compte tenu de la faiblesse du pouvoir d’achat sur le continent pour une majorité de citoyens.
Alors, les pays riches et émergents ont-ils tellement de problèmes qu’ils ne peuvent plus opter pour des annulations de dettes ?
4. PAYS PAUVRES : PROLONGATION DU MORATOIRE DE LA DETTE
Les États africains sont confrontés à d’importantes contraintes budgétaires en raison de la récession économique (un recul de – 3,3 % du produit intérieur brut en 2020), un effondrement important des prix des matières premières, une fuite des capitaux par des nationaux comme par des étrangers. Aussi, face aux difficultés de remboursement du service de la dette et l’urgence de s’organiser pour neutraliser le COVID-19, le premier devient temporairement secondaire, au point même de susciter l’envie de surseoir collectivement aux paiements de la partie inique (taux d’intérêt usurier, corruption, etc.) de la dette.
Pour faciliter la réponse à apporter par les États africains à la pandémie du la maladie du COVID-19, l’approbation par le G20 d’un report jusqu’à la fin juin 2021 du paiement de la dette de plusieurs pays pauvres (73 éligibles) se résume à un constat amer. Tous les Africains, comme tous les peuples du monde, devront apprendre à vivre avec le coronavirus, voire ses mutations possibles.
Sur les 43 (ou 46) pays concernés et qui ont accepté de s’inscrire, un peu plus de 5 milliards de dollars de dettes seront reportés. Les conditionnalités sont précises : « les pays doivent s’engager à utiliser les ressources libérées pour augmenter les dépenses sociales, sanitaires ou économiques en réponse à la crise actuelle. Les bénéficiaires s’engagent également à divulguer toutes les dettes du secteur public et tous les instruments similaires 5 ».
Aussi, le rééchelonnement de la dette africaine n’est pas une annulation de dette. Il est question de retarder les sommes dues avec une période de remboursement de cinq ans et une période de grâce d’un an. Les dettes privés ou commerciales ne sont pas concernées pour le moment.
De ce fait, la prolongation du moratoire accordée aux pays bénéficiaires est un plus, mais cela semble avoir plus pour objet d’éviter des défauts de paiements collectifs. Par ailleurs, la corrélation entre la lutte contre le coronavirus et l’affectation de la partie de la dette non payée n’est pas vérifiée pour tous les pays africains du fait de la corruption et l’opacité des comptes publics.
Dans certains cas, ces fonds ont surtout servi à importer et à augmenter l’extraversion et la dépendance du pays africain, au lieu de favoriser les solutions africaines de prévention dans le domaine de la prévention et notamment de la pharmacopée.
Une des solutions passe par l’adoption d’un concept organisationnel permettant de créer des richesses en Afrique. Pour cela, il est proposé de prendre conscience d’utiliser d’abord les ressources disponibles en Afrique et de les affecter à des structures organisées proches des populations.
Cela devrait intervenir dans le cadre de la promotion d’une approche intégrée de l’économie.
Aussi, l’économie de proximité et l’économie circulaire supposent une décentralisation accrue des ressources de l’État vers les acteurs de la société civile spécialisée dans la création de richesses. L’État centralisé doit pouvoir créer des fonds spécialisés dans les métiers utiles à la population et dans la proximité et veiller à en laisser la gestion aux acteurs réorganisés sous formes de groupements d’intérêts économiques, sociaux, environnementaux ou culturels.
L’économie de proximité permet un contrôle quasi direct et immédiat par les populations concernées et de ce fait, contribue à limiter la corruption liée à la gestion de gros projets par l’administration en Afrique, avec une efficacité mitigée, voire faible.
5. COVID-19 GRIGNOTE 21 % DES TRANSFERTS D’ARGENT DE LA DIASPORA AFRICAINE
Continuer à réclamer près de 100 milliards de dollars des Etats-Unis ($EU) comme le propose la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) pour un transfert dans les mains de l’État africain sous forme d’appui budgétaire, demeure une gageure.
Si l’objectif est noble et consiste à relancer les économies africaines en sécurisant le volet sanitaire et social tout en offrant des financements pour lutter contre la pandémie COVID-19, c’est aussi offrir plus de possibilité pour la corruption si l’obligation de rendre compte aux populations et la décentralisation vers les acteurs de la société civile ou du secteur privé conscients et actifs dans la production de richesses dans la proximité ne sont pas « obligatoirement » associés sur des bases de la transparence. Les préférences pour les approches claniques ou ésotériques ne doivent plus faire partir du dispositif des sorties de crises sanitaires.
En Afrique, une personne sur cinq envoie ou reçoit des transferts de fonds internationaux en provenance de la Diaspora africaine. La CEA 6 a estimé que le « COVID-19 a gravement affecté les envois de fonds vers l’Afrique », avec une chute de 21 % en 2020, soit 18 milliards $EU de moins qui ne viendront pas limiter les défaillances de l’État africain en matière de santé. Les transferts de fonds de la Diaspora africaine étaient cinq fois plus élevés (714 milliards $EU) que l’aide étrangère en 2019 (153 milliards $EU). Envoyer ou recevoir de l’argent coûtent en moyenne entre 8 % et 14 % du total des fonds transmis, cela ressemble à un véritable racket sur les maigres épargnes des Africains de l’extérieur. Au Nigéria par exemple, les envois de fonds sont équivalent au budget du gouvernement fédéral.
La non-intervention de l’État africain, et parfois sa complicité dans l’augmentation des charges de transferts de fonds de la Diaspora vers l’Afrique, avec ses conséquences sont exacerbées avec les effets de la pandémie du COVID-19. Si les dirigeants africains de la zone Franc CFA le décidaient collectivement par exemple, ils pourraient tout simplement ne plus avoir à payer des frais de transfert puisqu’en réalité, l’espace monétaire de la zone franc se retrouve de facto être intégré dans l’espace monétaire européenne sous le giron de la Banque centrale européenne. Aussi, la gratuité de transfert entre les pays de l’Union européenne et bénéficiant à la France s’appliquerait automatiquement en zone franc, ce qui aurait dû profiter aux citoyens de cette zone. Malheureusement, il n’en est rien ! Pour les autres espaces monétaires, des actions collectives des chefs d’État sont nécessaires 7 et devront passer par la digitalisation des paiements et de la monnaie.
6. AFRIQUE : RECONSIDÉRER LA SOUVERAINETÉ SANITAIRE AVANT LA CORRUPTION
L’organisation de la résilience et de la sécurité sanitaire ne doivent plus se faire sans les Africains, et surtout à l’extérieur de l’Afrique. Il s’agit d’une position de souveraineté à saisir par les dirigeants africains. En sont-ils capables collectivement ?
Vraisemblablement oui, si la lutte contre les inégalités et les obstacles à l’inclusion sociale redeviennent une priorité dans les politiques budgétaires, salariales et de protection sociale en Afrique. La solidarité interafricaine, internationale et intergénérationnelle repose d’abord sur le contrôle des gaspillages budgétaires, si la corruption peut se comprendre comme un « gaspillage » aux dépens du peuple africain. Le manque à gagner, une fois récupéré, devrait pouvoir stimuler la lutte pour la neutralisation et l’éradication du COVID-19. YEA.
16 octobre 2020.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur Afrocentricity Think Tank
©Afrocentricity Think Tank.
Notes:
- REUTERS (2020). “Factbox: How the G20’s Debt Service Suspension Initiative works”. In Reuters. 15 october 2020. Accessed 16th October 2020. From https://www.reuters.com/article/us-imf-worldbank-emerging-debtrelief-fac/factbox-how-the-g20s-debt-service-suspension-initiative-works-idUSKBN27021V ↩
- Deutsche Welle (2020). « Covid-19 et suspension de la dette : la fausse bonne idée du G20 ». Par Sandrine Blanchard, Journaliste. Deutsche-Welle. La Voix de l’Allemagne. 15 octobre 2020. Accédé le 16 octobre 20202. Voir https://www.dw.com/fr/covid-19-et-suspension-de-la-dette-la-fausse-bonne-id%C3%A9e-du-g20/a-55289984
« Le G20 a prolongé jusqu’à la fin juin 2021 la suspension du service de la dette de 46 pays parmi les plus pauvres afin qu’ils puissent mieux faire face à l’urgence causée par le coronavirus. Un regard critique. » ↩
- Adibe, J. (2020). « Madagascar’s COVID-19 solution and perils of soldiering for African cures”. In The Cable.ng. 23 July 2020. Accessed 16 October 2020. From https://www.thecable.ng/madagascars-covid-19-solution-and-perils-of-soldiering-for-african-cures ↩
- Primi, A., Karingi, S., Sommer, L., Aidi, W., Mavroeidi, V. & Toselli, M. (2020). « Accelerating the response to COVID-19: what does Africa need? ». In OECD Development Matters. A series on Tackling COVID-19 in Developing Countries. Accessed 15 October 2020. From https://oecd-development-matters.org/2020/05/01/accelerating-the-response-to-covid-19-what-does-africa-need/ ↩
- Reuters (2020), op. cit. ↩
- UNECA & ONE Campaign (2020). Coronavirus Disease (COVID-19) and Migrant Remittances. Protecting an Economic Lifeline. COVID-19 Response. United Nations Economic Commission for Africa: Addis Ababa. ↩
- World Bank, “Getting SmaRT about Reducing Remittances Costs”, 16 June 2015. Accessed 15 October 2020. Available at: https://blogs.worldbank.org/voices/getting-smart-about-reducing-remittances-costs ↩