Journaliste : Nadir DJENNAD
Emission : L’essentiel de l’actualité en France et en Afrique suivi de l’invité du jour (Afrique).
Heure : 07h30 Heure de Paris (et podcast).
Contact : n.djennad@africaradio.com
Invité du jour : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, économiste, Directeur Afrocentricity Think Tank, depuis Vienne en Autriche.
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
Date : Emission 16 mars 2021.
Voir : https://www.africaradio.com/
Podcast: Play in new window | Download (Duration: 5:05 — 4.6MB)
S'abonner aux Podcasts : RSS
- Quelle est la situation économique et sociale de la République du Congo aujourd’hui ?
YEA. Elle n’est pas bonne d’après les statistiques du Fond monétaire international. En effet, la dernière année où le PIB hors hydrocarbure était positif date de 2014 avec 9,9 % de croissance économique. Depuis, le Congo est dans le rouge avec systématiquement de la croissance négative (2015/ –0.2 % ; 2016/ –11.3 % ; 2017/ –8.6 % ; 2018/ –10.1 % ; 2019/–1.7 % ; 2020/ –8.0 % ; et en prévision pour 2021 /–3.0 %.
Pour ce qui est de la croissance économique réel, c’est-à-dire avec les hydrocarbures, le Congo ne fait pas mieux ; la dernière année où le PIB réel était positif date de 2014 avec 6,7 % de croissance économique. Depuis, le Congo est dans le rouge avec systématiquement de la croissance négative (2015/ –3,6 % ; 2016/ –10,7 % ; 2017/ –4,4 % ; 2018/ –6,4 % ; 2019/–0,6 % ; 2020/ –7.0 %) ; et en prévision pour 2021 /–0,8 %.
En comparaison, la moyenne de la croissance économique de l’Afrique subsaharienne a systématiquement été positive depuis 2014, sauf pour 2020 du fait de la pandémie du coronavirus COVID-19. Voici les chiffres : le PIB réel était positif en 2014 avec 5,2 % de croissance économique. (2015/ 3,2 % ; 2016/ 1,5 % ; 2017/ 3,1 % ; 2018/ 3,3 % ; 2019/ 3,2 % ; 2020/ –3.0 %), et les prévisions pour 2021 sont estimées à 3,1 %.
Une autre comparaison est de situer le Congo au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) : la moyenne de la croissance économique de la zone CEMAC a été positive depuis 2014, sauf pour 2016 et 2020 du fait respectivement d’une mauvaise gouvernance collective et de la pandémie du coronavirus COVID-19. Voici les chiffres : le PIB réel était positif en 2014 avec 4,7 % de croissance économique. (2015/ 1,4 % ; 2016/ -0,6 % ; 2017/ -0,2 % ; 2018/ 0,9 % ; 2019/ 2,0 % ; 2020/‑3,2 %), et les prévisions pour 2021 sont estimées à 3,0 %.
Bref, la République du Congo rencontre d’énormes difficulté à créer de la richesse de manière pérenne et suffisante et inclusive pour penser faire de la redistribution pour que les populations puissent en ressentir les effets positifs dans leur vie quotidienne.
- Le pays est en proie à une crise économique depuis des années. Dû notamment à la chute des cours du pétrole, est-ce que les autorités n’ont pas su ou pas pu, arrêter cette dépendance vis-à-vis des revenus pétroliers ? Les revenus pétroliers représentent 85 % du budget du pays ?
YEA. La crise économique n’est pas d’abord un problème de chute du cours de pétrole mais un problème d’anticipation et de management stratégique et surtout d’organisation intelligente de la création de valeurs ajoutées dans la proximité, c’est-à-dire surplace au Congo. Il est vrai que la chute du cours de pétrole a négativement impacté le Congo comme tous les pays pétroliers qui ont refusé ou oublié d’investir dans la diversification économique, la transformation industrielle locale, l’acquisition des technologies et surtout la substitution des importations agricoles, notamment alimentaire. Aussi, le pays est en proie à une crise économique principalement à cause de la non-transparence des comptes publics, du refus de respecter l’obligation de rendre des comptes sur les arbitrages macro-économiques et surtout une priorité qui n’est pas sur la création de richesses de manière endogène.
Maintenant, il est vrai que la dépendance du Congo vis-à-vis du secteur hydrocarbure (Pétrole et gaz) et de la matière première comme le bois non transformé est un problème. On peut le résumer dans le fait qu’en 38 ans de règne de l’actuel Président, le Congo se retrouve importateur net de produits alimentaires. Voici une citation du Président Denis Sassou-Nguesso qui bien compris le poids de la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures et considère comme une « urgence de sortir du tout-pétrole ». A ce titre, il a déclaré sur les antennes de la Deutsche Welle (DW) lors de l’interview du Journaliste Eric Topona le 8 mars 2021, qu’« au cours du prochain mandat si je suis élu, je propose un vaste programme de développement de l’agriculture au sens large. Notre pays importe pour 700 milliards de FCFA (un peu plus d’un milliard d’euros) de nourriture. C’est une honte ». Le problème de ce constat est de savoir à qui cela s’adresse exactement et qui en porte la responsabilité ?
Aussi à votre question, les revenus pétroliers représentent bien au-delà de 85 % du budget du pays selon le cours du baril du pétrole. Ce sont d’ailleurs ces fluctuations non anticipées, et non provisionnées, mais aussi la non-transparence des comptes publics qui sont à la source du surendettement de ce pays. Alors, oui, les autorités politiques de ce pays n’ont pas anticipé, donc n’ont pas voulu réellement tenter d’arrêter la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures et des revenus pétroliers. Mais il y a une autre raison plus insidieuse : le fait que les pays occidentaux finissent régulièrement, non sans s’approprier des pans entiers des capacités productives des pays africains par des opérations dites de privatisations, par effacer une partie de la dette publique des Etats qui font la politique des pays occidentaux.
- Le Président Sassou N’guesso affirme dans son programme que l’agriculture est le plus sûr moyen, de lutter efficacement à la fois contre le chômage, la pauvreté, l’insécurité alimentaire et le déficit du commerce extérieur. Est-ce réaliste selon vous, ou s’agit-il d’un discours purement électoral ?
YEA. Je pense que le développement du secteur primaire (agriculture, pêche, etc.) fait partie en Afrique, au Congo en particulier, des moyens de lutter efficacement contre les fléaux que vous avez cités, notamment par la création d’emplois et par la productivité. Donc, oui la proposition du Président Sassou N’guesso est réaliste. Le problème est qu’il est au pouvoir depuis plus de 30 ans. La question est de savoir pourquoi cela n’a pas été fait plus tôt et surtout pourquoi cela ne profite pas à une grande majorité de la population congolaise. Pour la 2e partie de votre question, tout ce qui est énoncé par les candidats à la présidence s’inscrit dans le discours de la Communication… C’est aux électeurs potentiels, si le scrutin relève de la vérité des urnes, de répondre à votre question, notamment faisant le bilan de cette proposition sur les années passées au pouvoir du candidat Sassou-Nguesso.
Si la mise en place d’un projet d’exploitation de gisements pétroliers dans la zone des tourbières, aussi appelée zone de la cuvette centrale, dans le nord du Congo-Brazzaville venait à voir le jour, ce sera d nouvelles recettes pour l’Etat. Mais attention, il s’agit aussi peut-être d’une future bombe climatique car ces gisements, s’ils sont confirmés, se trouvent sur des zones permettant de préserver un équilibre climatique planétaire… Mettre ceci en cause serait à terme préjudiciable pour le Congo et pour le monde conscient des enjeux environnementaux et climatiques. Selon l’ONG Global Witness, cette zone de forêts humides (tourbières) situées au nord du Congo abritent près de « 30 milliards de tonnes de carbone, soit trois fois les émissions annuelles mondiales ».
- Est-ce que la dégradation de la situation économique est en partie due à l’échec des autorités congolaises à conclure en 2019 un accord avec le FMI, ce qui aurait pu peut-être permis au pays de redresser son économie ?
YEA. La dégradation de la situation économique a commencé bien avant toute négociation avec le FMI. Par ailleurs, les comptes publics ne reflétaient pas la réalité de la dégradation réelle de l’économie congolaise. Le problème est que la partie de cette dégradation économique qui est liée à la corruption, et à la mauvaise gestion est trop importante. Je voudrais aussi clarifier le fait que personne n’est obligé d’aller demander un prêt au FMI si son économie est bien gérée. Le Ghana depuis l’année passée ne doit rien au FMI et a remboursé sa dette, partiellement grâce aux hydrocarbures. Donc lorsqu’il y a une volonté politique et un secteur privé efficace dans un environnement favorable à la création de richesses, alors un pays n’a pas besoin d’aller emprunter auprès du FMI, mais peut emprunter sur les marchés internationaux. Mais cela dépend de sa crédibilité et de sa solvabilité… Ce n’est pas le cas dans la République du Congo.
Maintenant, si un accord était intervenu, rien n’est moins sûr qu’il y aurait eu redressement de l’économie si la gouvernance économique passée devait continuer. Je rappelle au passage que l’accord en juillet 2019 avec le FMI pour un prêt budgétaire stipulait qu’un accord avec les principaux créanciers, dont les sociétés Glencore et Trafigura, devait être honoré. Mais le Congo n’a pas honoré cet engagement pour le moment. La situation pourrait se débloquer au cours de 2021, vraisemblablement après l’élection présidentielle. C’est en fait dès le début 2020 que les décaissements du FMI ont été stoppé suite à l’approbation par le conseil d’administration du FMI, le 11 juillet 2019, portant sur un montant de 448,6 millions de dollars au titre d’une facilité élargie de crédit (FEC). Seule, la première tranche de 44,9 millions de dollars des Etats-Unis a été immédiatement décaissée. Depuis, plus rien… Il y a donc en plus du problème structurel de la dette, un problème de liquidités.
Il s’agit d’ailleurs d’un quatrième plan de sauvetage accordé par le FMI, auquel venaient s’ajouter les centaines de millions de dollars apportés par la Banque mondiale, la Banque africaine d Développement (BAD), l’Agence Française de Développement (AFD), et des créances publiques et privés de la Chine. Aussi, la dégradation de l’économie congolaise, qui a commencé dès 2014 avec la chute du prix du baril de pétrole, relève plus d’une défaillance structurelle de comment se crée la richesse et comment on relance une économie en soutenant les acteurs économiques et en faisant circuler l’argent dans toutes les poches…
La Banque centrale régionale (BEAC) devra nécessairement renouer avec une politique monétaire plus accommodante et tenir rapidement (la date du 25 mars à Douala originelle a été reportée) son premier comité de politique monétaire de 2021 et donner un léger espace pour un déficit budgétaire venant en soutien aux actions d’un Etat maîtrisant ses dépenses mais investissant dans la création de richesses et la formation.
- Le 12 mars 2021, la République du Congo a lancé une émission obligataire de 100 milliards de Francs CFA (52,2 millions d’Euro) au sein de la zone CEMAC. Les fonds seront consacrés aux programmes d’infrastructures contenus dans le budget 2021, et une partie de l’argent servira aussi à rembourser la dette intérieure due aux entreprises. Est-ce que le pays n’avait pas d’autres choix que d’emprunter de l’argent ?
YEA. Le pays n’a d’autres choix pour le moment que d’emprunter. Mais il y a deux problèmes. La création de richesses a besoin du facteur humain innovant comme effet de levier. Le Congo n’investit quasiment pas dans l’humain, encore moins dans les capacités de l’agilité de l’humain. Je rappelle que c’est l’une de mes expertises. Aussi, en investissant uniquement dans les grands travaux sans un contrôle des dépenses publiques en termes d’efficacité, il peut y avoir des déperditions et des manques à gagner. Mais le vrai problème est que ce sont des investissements indirects. Il faut aussi des investissements directs dans l’acquisition de technologies, de brevet, d’équipements pour utilisation immédiate par les populations dans le cadre de formation accélérée et pratique, notamment pour les entrepreneurs. L’objectif affiché ne peut qu’être la transformation des matières premières congolaises en création de valeurs ajoutées et de richesse par le peuple congolaise (citoyenne et citoyen) et pour le peuple congolais.
- Quelles sont les solutions économiques pour permettre au pays de sortir de la crise ?
YEA. Il n’y a pas de solutions toutes faites. Mais il y a un vrai problème de changement de logiciel managérial tant au plan macro-économique qu’au plan micro-économique. L’administration congolaise ne me semble pas être au service du secteur privé congolais… et je parle de congolais noir… car il y a beaucoup de congolais non-noirs… qui eux rapatrient vers leur pays d’origine l’essentiel de la richesse créée et ne réinvestisse pas dans le pays, et ne crée pas d’emplois décents localement. La solution économique passe par une sorte de comité stratégique indépendant en charge d’une vingtaine de programmes dans tous les secteurs où l’import-substitution est possible et la création de valeurs et de richesses puissent se faire sans interférence (ou un minimum) avec l’Etat. Cela n’exclut pas la régulation et le contrôle non intempestive de l’Etat… Bref, l’entrepreneuriat fondé sur la mise à disposition de technologies et de savoir-faire est un passage obligé… enfin, l’environnement des affaires dans la proximité est une autre précondition pour éviter réduire drastiquement la dépendance vis-à-vis du monde extérieur, tout en favorisant l’intégration régionale et africaine.
- Est-ce que le Congo doit revoir son modèle de développement ?
YEA. Je ne sais pas s’il faut parler de modèle de développement quand le modèle actuel est un mal développement. Ce dont je suis sûr, le Congo doit sortir de son surendettement tout en maîtrisant la pandémie de la COVID-19. Le modèle de développement doit reposer sur comment est-ce que l’on crée de la valeur ajoutée au niveau de chaque citoyen. C’est cela qui permet la création de richesses inclusives et donc partagées.
Le lien entre la montée de la dette publique et la montée des inégalités risque de se conclure avec un en endettement excessif pour les générations futures, condamnant peut-être le Congo à vendre une partie de son territoire à des créanciers… Il faut savoir que le processus de désendettement peut prendre entre 5 et 10 ans si le pays est géré de manière transparente et si une nouvelle pandémie ne vient pas bloquer une reprise de la croissance…. Le cas des Etats-Unis de Mr. Trump est à mentionner. Sans la COVID-19, Donald Trump aurait certainement réussi son pari économique et aurait vraisemblablement gagné les élections si la pandémie n’était pas passée par là.
Il faut donc des solutions à court terme et à long-terme pour retrouver de la liquidité et un espace décisionnel propre au Congo. Au moins 10 % des recettes tirées des matières premières comme les hydrocarbures doivent être réservées effectivement pour les générations futures. L’actuel moratoire mis en place par le G20 n’est pas un effacement de la dette congolaise, mais un report dans le temps, surtout que ce report n’oblige pas les créanciers du secteur privé à participer aux efforts de réduction ou d’allégement des dettes souveraines.
Gouverner, c’est prévoir…. La prévisibilité des actions passées de l’Etat congolais sur les 30 dernières années n’est pas concluante. C’est d’abord la compréhension par les principaux décideurs privés comme publics de la dynamique de leurs interactions comme fondement de l’agilité de l’Etat congolais qui doit faire l’objet d’un changement de logiciel, ce en urgence. La langue de bois et la communication au cours de la campagne électorale pourraient brouiller les pistes vers cet objectif de changement de modèle de création de la valeur ajoutée, de la productivité dans la proximité… Je conclurais qu’il est plus urgent de changer de modèle de management, en abolissant la corruption et en introduisant plus de transparence dans les comptes publics. Introduire de la transparence au niveau de l’élection présidentielle serait un plus. YEA.
Merci.
15 mars 2021.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO.
© AFRICA RADIO & Afrocentricity Think Tank