DEUTSCHE WELLE – LA VOIX DE L’ALLEMAGNE
Invité du journal : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste, Directeur Afrocentricity Think Tank
Nom du Journaliste à la Rédaction française : Mme Sandrine Blanchard
Adresse: Deutsche Welle (DW). Kurt-Schumacher-Str. 3. 53113 Bonn. Allemagne
Deutsche Welle Emission : Journal du soir
Mardi 14 avril 2020
Sujet : Alléger la dette pour combattre le COVID-19 en Afrique ?
Résumé : Des intellectuels africains réclament davantage qu’une annulation de la dette publique : ils veulent repenser l’Afrique.
- Pourriez-vous nous dire en quoi le COVID-19 affecte les économies africaines et la dette publique extérieure de nombreux Etats ?
YEA. L’Afrique qui soutenait la croissance mondiale avant l’arrivée et la propagation du coronavirus COVID-19 dans le monde ne pourra plus tenir sa position. En effet, si la propagation du COVID-19 ou tous autres maladies inconnues ne venaient pas aggraver la situation en Afrique, la croissance de la richesse produite en Afrique en 2020 (produit intérieur brut (PIB)) devrait chuter d’environ 3,3 % à 1 % en 2020, pire dans le cas d’un aggravement de la situation sanitaire. L’impact de la pandémie est manifeste sur une Afrique active dans la mondialisation par le commerce de matières premières non transformées.
L’ensemble des emprunts des Etats africains constitue la dette publique qui se subdivise en intérieure et extérieure. Le remboursement par les Etats africains de la dette publique extérieure ne devrait pas avoir de priorité sur celui de la dette publique intérieure, car cette dernière a des conséquences directes sur les entreprises et les emplois locaux. Par contre, la dette publique extérieure africaine a augmenté de 150 % en 10 ans, bien avant la crise sanitaire Il faut s’attendre donc à atteindre les 200 %, voire plus. La question de l’efficacité de cette dette et le bilan doivent être faits.
- On parle désormais d’une annulation éventuelle de la dette publique extérieure des Etats africains, au moins partiel, d’autres préconisent un rééchelonnement de cette de cette dette, qu’est-ce que c’est que c’est que ces différents scénarios, est ce que vous pouvez expliquer de façon schématique de ce à quoi cela correspond ?
YEA : La dette publique extérieure des Etats africains est composée de deux grandes parties : le principal et les intérêts. L’annulation partielle ou totale, et la suspension et le report des paiements d’intérêts de la dette publique extérieure des Etats africains sont les instruments dont disposent les pays créanciers pour soutenir l’Afrique contre le Covid-19. La France a déjà annoncé l’annulation pour certains pays africains, suivant en cela les recommandations de l’Union africaine et des institutions onusiennes. Le rééchelonnement n’est pas une annulation de dette mais un report dans le temps. Alors se pose le problème du taux d’intérêt qui peut devenir usurier. Il faut donc savoir que les Etats africains ne s’acquittent souvent que de la partie soutenable de la dette. La partie qui semble relever de l’usure fait souvent l’objet d’une annulation totale ou partielle, avec ou sans COVID-19. Mais pour certains Etats ou institutions disposant de créances sur l’Afrique, l’essentiel est que l’Etat africain reste endetté, c’est un paradoxe car il s’agit plus de maintenir une certaine dépendance digne de la postcolonie. Le Ghana est l’un des rares pays à ne pas avoir de dette extérieure actuellement.
- Est-ce que vous pourriez nous dire, dans un troisième temps, le modèle que vous préconisez, qui pourrait être effectivement bénéfique pour les économies des Etats d’abord, et ensuite à la population, je pense au producteur de matières premières.
YEA. Au niveau économique, environnemental et pour le bien-être des populations, l’économie de la sous-traitance industrielle vers les pays asiatiques révèlent la dépendance et la vulnérabilité des pays occidentaux, et indirectement l’Afrique. Il faut donc revenir une valorisation de l’économie de proximité et de l’économie circulaire. Il s’agit de redonner la priorité pour produire, consommer, échanger et innover d’abord dans un rayon de moins de 1000 km autour de soi. Cette économie est bénéfique d’abord aux populations, et ensuite aux Etats, pas l’inverse. Quant aux producteurs de matières premières, ils devraient justement apprendre à transformer localement en utilisant les compétences locales et dans la diaspora. La Côte d’Ivoire et le Ghana respectivement 1er et 2e producteur de cacao ne transforment chacun que moins de 3 ou 4 % de cette matière première. Ce n’est pas la faute au COVID-19.
- L’Union africaine vient de nommer un quatuor d’envoyer spéciaux qui sont chargés de mobiliser des fonds pour aider l’Afrique pour lutter contre le coronavirus. Je voulais savoir quel était votre point de vue sur cette mission donnée à ces quatre personnalités, l’ampleur de la mission, l’utilité et à votre avis les chances qu’elle a d’aboutir, et auprès de qui ?
La présidence tournante de L’Union africaine a actuellement le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa. C’est donc lui qui a voulu et obtenu la mise en place d’une « force opérationnelle de l’Afrique contre le COVID-19 » (COVID Task Force) avec des personnalités comme M. Tidjane Thiam, Président de cette « Task force », Ex Patron de l’UBS ou crédit suisse, Mme Ngozi Okonjo-Iweala, Ex-Ministre des finances du Nigeria et ex-DG de la Banque mondiale, M. Tresor Manuel, ex-ministre des finances de l’Afrique du Sud et dirigeant sa société financière aujourd’hui et M. Donald Kaberuka, ex-président de la Banque africaine de Développement.
Le problème est qu’au lieu de chercher des solutions pour l’éradication du COVID 19, l’Union africaine cherche de l’argent. On dirait que cette institution a un problème de crédibilité car financée à plus de 83 % par des fonds non africains. Elle peine à valoriser les solutions africaines et efficaces et surtout à regrouper les expertises et les technologies africaines disponibles sur la question du COVID-19. Alors des personnalités éthiques sont appelés à la rescousse. Mais où sont les médecins africains, les solutions thérapeutiques et cliniques africaines qui ne coutent pas chères notamment en prévention avec des traitements thérapeutiques antipaludéens, dont l’efficacité contre le COVID-19 ne sont pas à négliger. Pourquoi la fabrication d’équipements de décontamination des espaces clos en Afrique n’est pas à l’ordre du jour ? Pourquoi la fabrication des médicaments dont le brevet est tombé dans le domaine public ne sont pas à l’ordre du jour ? Autant de solutions qui pourraient aider les populations africaines et non les caisses souvent mal-gérées des finances publiques africaines. Ces personnalités du « Task Force » vont surtout servir à renégocier et faire inscrire dans la liste de la dette publique, ce qui pourra ou pas faire l’objet d’annulation ou de rééchelonnement de la dette publique extérieure. Est-ce qu’elles se présenteront comme de véritables « quémandeurs » de l’assistanat de ceux-là même qui initient ces taux d’intérêts usuriers ?
Quid du paiement de la dette intérieure, pourtant vitale pour le quotidien des entrepreneurs et commerçants africains ! La réduction de la dette est un fait, l’ampleur dépendra du niveau de dépendance que les dirigeants africains accepteront. Car, personne ne doit être dupe de la réal politik, à savoir : annulation de la dette contre tests grandeurs natures de vaccins cliniques contre le COVID-19. Un vaccin clinique permet de savoir qui meurt suite au test. Alors il est peut-être conseillé aux dirigeants africains d’être transparent sur la contrepartie de l’annulation des dettes publiques extérieures.
Je vous remercie.
Emission de Deutsche Welle – Journal du 14 avril 2020.
Lien internet : https://www.dw.com/fr/alléger-la-dette-pour-combattre-le-covid-19-en-afrique/a-53125649
© Afrocentricity Think Tank