Pourquoi un géant en taille comme le Nigéria n’arrive pas à « servir » de locomotive économique pour la sous-région de la Communauté économique et de développement de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ? C’est que rien ne change au plan structurel, avec un secteur hydrocarbure servant de locomotive au budget de l’Etat fédéral à 90 %… Mais il n’y a pas que cela, corruption, absence de transparence, insécurité complètent le tableau. La croissance économique négative de -3,2 % en 2020 devrait s’inverser en 2021 avec une projection à 1,5 %. Assurément, peut mieux faire !
1. LA DIASPORA AIDE LE NIGERIA 7 FOIS PLUS QUE L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT
Selon la Banque mondiale, l’aide publique du développement reçu par le Nigeria s’élevait à 3,5 milliards de $EU en 2019 alors que le transfert d’argent en provenance de la Diaspora nigériane pour la même période vers le Nigéria s’élevait à 23,8 milliards de $EU. Autrement dit, les Nigérians de l’extérieur contribuent 7 fois plus au développement de leur pays que l’aide publique au développement reçu.
La réalité est que le Nigéria a enregistré le montant le plus faible depuis 2008 pour ce qui est des transferts d’argent et de fonds de ses ressortissants vivant à l’étranger, ce principalement du fait de la pandémie du coronavirus Covid-19 qui a directement affecté le revenu des Nigérians de la Diaspora.
2. UNE PRIME DE 5 NAIRA POUR TRANSFÉRER L’ARGENT DE LA DIASPORA PAR LES VOIES OFFICIELLES
C’est dans ce cadre que la Banque centrale nigériane 1 a mis en place pour une période de 2 mois -entre le 8 mars et le 8 mai 2021- éventuellement renouvelable, un programme de type « effet de levier » pour attirer les devises des Nigérians de l’étranger, dit le « Naira 4 Dollar Scheme ». Pour chaque dollar des Etats-Unis transférés par les voies officielles -en non par le marché parallèle dit marché noir-, 5 Nairas supplémentaires seront versés une fois la conversion en Naira effectuée. Il s’agit en principe d’une mesure conjoncturelle pour faire face de manière passagère à une pénurie de devises fortes. Cette mesure n’est donc pas suffisante. Le Nigéria doit absolument diversifier son économie à partir d’une gouvernance de la transparence des comptes publics.
3. LA GESTION CONJONCTURELLE DES POCHES DE PÉNURIE DE DEVISES
La situation actuelle ressemble à celle du Nigeria il y a 5 ans, fin 2016. L’économie du Nigeria se retrouve dans des poches d’asphyxie du fait d’une nouvelle pénurie de devises étrangères, ce qui pourrait le contraindre à une nouvelle dévaluation du Naira. Le 10 mars 2021, un dollar des Etats-Unis s’échangeait au cours officiel à 411,75 Naira du Nigeria. Alors que sur le marché noir, ce même dollar valait 475 Naira à la date du 8 mars 2021.
Il y a 5 ans (octobre 2016), le dollar s’échangeait au cours officiel à 305 Naira contre 460 Naira il y a 5 ans. L’écart entre le cours officiel et le cours du marché noir s’est rétrécit, passant de 155 Naira il y a 5 ans à 63,25 Naira aujourd’hui. La politique économique du Président Muhammadu Buhari a malgré tout porté ses fruits sauf qu’avec les millions engloutis dans le combat contre le terrorisme de Boko Haram et surtout l’impunité dans le combat contre la corruption, les efforts consentis ne sont pas palpables pour la citoyenne et le citoyen lambda.
4. LES ENTREPRISES QUI IMPORTENT SONT PÉNALISÉES
Le manque de devises disponibles, couplé à une augmentation sans précédent des taux de change, a causé une forte augmentation des coûts au sein des entreprises, une difficulté à rapatrier les bénéfices gagnés en Naira, qui sont alors enregistrés comptablement en Dollar ou Euro dans les comptes de l’entreprise avec des risques de change évidents… Les entreprises peinent à importer leur matériel, les intrants, leurs matières premières ou même à payer leurs salariés expatriés. De fait, toutes les entreprises dont le modèle économique est fondé sur l’importation des biens intermédiaires ou des intrants sont pénalisés.
5. DÉPRÉCIATION OU DÉVALUTION DU NAIRA : SYNONYME ?
Si cette situation perdure, des entreprises locales pourraient suspendre leur activité, voire quitter le Nigeria… Si jamais il y a une dévaluation, cela entraînera une inévitable hausse des prix, qui va impacter les produits de consommations courante de la citoyenne et du citoyen nigérians avec en filigrane des révoltes contre la vie chère en perspective. Le gouvernement fédéral du Nigéria, par la voix de son ministre des Finances, Mme Zainab Ahmed, a reconnu en janvier 2021 un manque à gagner de près de 27 % de son budget en 2020 2, ce qui l’a contraint à emprunter pour financer le budget, augmentant mécaniquement le déficit du budget.
Toutefois, les recettes pétrolières totales se sont substantiellement améliorées, passant à 1,5 billion de nairas, soit environ 50 % de plus que les prévisions budgétaires de 1 billion de nairas. Cette augmentation des revenus pétroliers doit être corrélée à la dévaluation du taux de change, qui est passé d’un budget de 360 N / 1 $EU (USD) à 379 N / 1 $EU au troisième trimestre de l’année.
Entre la pandémie de la COVID-19, le terrorisme de Boko Haram, la corruption qui gangrène le pays et l’insécurité opérée trop souvent pas ceux des forces de sécurité censées assurées la sécurité des citoyens, la réalité économique du Nigeria est bien morose, même si ce pays s’en est mieux sorti que de nombreux pays (-10 % pour le Royaume Uni, -9 % pour la France, -5,4 % pour l’Allemagne, -7,5 % pour l’Afrique du sud 3). Selon le Fond monétaire international 4, la croissance du PIB réel en 2021 devrait redevenir positive en 2021 avec 1,5 % contre -3,5 % en 2020, et peut-être même retrouver son niveau d’avant la pandémie dès 2022, au-delà de 3 %.
La réalité économique au Nigeria est que dans ce pays, la dépréciation est souvent synonyme de dévaluation tacite…
6. LA TRANSPARENCE DES COMPTES PUBLICS ET DIVERSIFICATION DE LA CAPACITÉ PRODUCTIVE
La structure des exportations du Nigéria n’a pas fondamentalement changé au cours des décennies, avec les hydrocarbures représentant près de 90 pour cent des exportations du pays aujourd’hui comme dans les années 70. Une diversification économique n’a pas encore une option politique, à l’instar des pays comme la Malaisie, l’Indonésie ou même l’Inde qui ont mis l’accent sur l’industrialisation et l’exportation des produits manufacturiers et la création d’emplois locaux pour les jeunes, nombreux sur le marché de l’emploi.
Le Nigéria doit, en plus des politiques de diversification et de transformation locale de ses matières premières, mettre encore plus d’accent sur la transparence des dépenses publiques et un contrôle par les citoyens des comptes publics.
La transparence des comptes publics et la diversification de la capacité productive des entreprises demeurent une constante de la politique économique. Absentes des mentalités des gouvernants africains, la création d’emplois pour les jeunes n’est pas au rendez-vous, profilant des bombes socio-économiques à l’horizon…
7. PARADOXE NIGERIAN : SIGNER LA ZLECA ET FERMER LES FRONTIÈRES AVEC SES VOISINS
Fermer les frontières avec ses voisins francophones n’est assurément pas le choix politique le plus efficace, surtout lorsque le Nigeria s’est engagé dans les politiques commerciales et de concurrence fondées sur l’ouverture des marchés et qu’il a finalement accepté sa participation à la zone de libre-échange continentale africaine.
Il faut comprendre que si les marchés francophones sont devenus des relais des produits français vers le Nigeria avec une monnaie Franc CFA, plagiat locale non convertible de l’EURO, alors politiquement la décision de fermeture temporaire peut se comprendre… Surtout si cela conduit à acheter « nigérian » et à moins importer… Le patronat nigérian, notamment la partie industrielle ne s’en plaint pas.
Peut-être que l’arrivée d’une Nigériane, Mme Ngozi Okonjo-Iweala, à la tête de l’Organisation mondiale du Commerce, permettra une meilleure cohérence entre les politiques macro-économiques de long-terme avec les mesures conjoncturelles en faveur de la Diaspora.
8. PLAIDOYER POUR LA VÉRITÉ DES COMPTES PUBLICS
La diversification de l’économie est indissociable de la relance de la croissance économique. Le problème est que cette dernière est de moins en moins possible sans la transparence et une meilleure gestion des comptes publics au Nigeria, comme en Afrique par ailleurs. YEA.
10 mars 2021.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur Afrocentricity Think Tank
© Afrocentricity Think Tank
Notes:
- Central Bank of Nigeria (2021). “Introduction of the CBN’s “Naira 4 Dollar Scheme” for Diaspora Remittances”. CBN. 5 March 2021. Accessed 10 March 2021 at https://www.cbn.gov.ng/Out/2021/CCD/naira4dollar.pdf ↩
- Nairametrics (2020). “FG posts 27% revenue shortfall in 2020 as budget deficit hit N6.1 trillion”. In Nairametrics. January 13, 2021. Accessed March 10, 20212. From https://nairametrics.com/2021/01/13/fg-posts-27-revenue-shortfall-in-2020-as-budget-deficit-hit-n6-1-trillion/ ↩
- IMF (2021). World Economic Outlook Update January 2021. “Policy Support and Vaccines Expected to Lift Activity”. IMF: Washington D.C.. Accessed March 10, 2021. From https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2021/01/26/2021-world-economic-outlook-update ↩
- Aisen, A., Rahman, J. and Jiaxiong Yao J. (2021). “Five Questions About Nigeria’s Road to Recovery”. International Monetary Fund (IMF), Country Focus. African Department. February 8, 2021. Accessed March 10, 2021. From https://www.imf.org/en/News/Articles/2021/02/02/na020821-nigerias-road-to-recovery ↩