Plusieurs institutions non gouvernementales font régulièrement le point dans leurs rapports sur les nombreuses violations de la liberté religieuse dans le monde, sans que cela n’émeuve la plupart des Etats les plus puissants du monde, dont les Etats-Unis.
Pourtant c’est le rapport de la Commission américaine sur la Liberté religieuse internationale qui semble rappeler le « droit d’ingérence » des Etats-Unis dans les affaires intérieures des pays tiers. Le rapport recommandait que deux pays soient inscrits sur la liste noire : l’Erythrée et le Nigeria. Les autres pays africains concernées sont en observation : Algérie, Centrafrique, Egypte, Soudan. Le Soudan vient d’être retiré alors que le Nigeria fait son entrée, et cela fait débat.
En Afrique comme dans le monde, il faut toutefois distinguer entre les violations de la liberté religieuse du fait des Etats et de leurs forces de sécurité d’une part, et les violations du fait d’organisations non non-gouvernementales.
1. L’INSTITUTIONNALISATION DES ETATS-UNIS COMME GENDARME RELIGIEUX DANS LE MONDE
La Commission américaine sur la liberté religieuse internationale a rendu son rapport annuel le 30 avril 2020 1.
Cette Commission a été créée par une Loi américaine des 9 et 10 octobre 1998, Loi sur la liberté religieuse internationale (International Religious Freedom Act ou IRFA). Cette Loi prévoit des sanctions et fait des Etats-Unis de facto un témoin et acteur dans une forme de « diplomatie » de la religion doublée d’un interventionnisme élargi permettant aux Etats-Unis d’intervenir dès lors qu’il y a une violation de la liberté de religion, avec en filigrane l’autorisation octroyée par le 1er amendement de la Constitution américaine autorisant l’ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat tiers y compris pour des affaires religieuses.
Le problème est que tous les moyens sont bons pour défendre les intérêts des pays puissants, les Etats-Unis en tête.
Sur ce plan, l’Union Européenne se distingue avec une approche basée sur des orientations relatives à la promotion et à la protection de la liberté de religion et de conviction pour ce qui est de ses « affaires extérieures 2 ».
Aussi, lorsque le secrétaire d’Etat sortant de l’Administration Trump, Mike Pompeo, qui sans explication retire le Soudan et intègre le Nigeria sur sa liste noire, conséquences des recommandations du rapport sur la liberté religieuse 3, il faut aussi s’interroger sur les motivations géostratégiques de la vie après Maison-Blanche du secrétaire d’Etat, voire de M. Trump.
En effet, Mike Pompeo est un chrétien évangélique fervent, excité diront certains, extrémiste sous des apparences de velours diront d’autres. Il a fait de la défense de la liberté de religion une de ses priorités en matière de droits humains, ce en cohérence avec l’Administration de Donald Trump.
Si Mike Pompeo était né « musulman », la musique serait-elle différente ?
2. NIGERIA : VIOLATION RÉGULIÈRE DE LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
Il est de notoriété publique que le Nigeria, ce régulièrement, ne respecte pas la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et cela n’émeut aucun des pays africains qui l’ont également signé, de peur de représailles.
Il n’y a pas de hiérarchie dans les libertés dès lors qu’il y a violation des droits et obligation octroyant cette liberté. Aussi, croire que la liberté religieuse sera la « plus » importante parmi les libertés seraient une grave erreur de parallaxe en matière de droits humains. La plupart des pays africains sont des adeptes de la violation régulière et institutionnalisée de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Et compte tenu de l’absence de coercition, les sanctions prononcées par les juridictions de l’Union africaine en charge de faire respecter cette Charte, reste souvent lettre morte, sauf lorsque les cas sont portés devant des juridictions extérieures à l’Afrique.
Le paradoxe de la position des Etats-Unis sur cette question de « liberté religieuse » est selon le rapport publié en juin 2020, « le département d’Etat américain relevait les tensions entre les autorités et le groupe chiite radical Mouvement islamique au Nigeria, dont les manifestations sont régulièrement réprimées dans le sang 4 », ce qui d’ailleurs avait été dénoncée par l’Eglise catholique nigériane, sans que cela n’ait suscité de réactions des Etats africains, ni de l’Union africaine, ni de la CEDEAO, encore moins des Etats-Unis au moment des faits. Déjà en 2019, des manifestations importantes et meurtrières ont eu lieu dans la capitale Abuja pour réclamer la libération du Chef Ibrahim Zakzaky suite à l’interdiction du Mouvement islamique du Nigeria, une formation chiite radicale 5.
3. LA LIBERTÉ RELIGIEUSE, LES DROITS HUMAINS ET LES DROITS DES COMMUNAUTÉS ET DES PEUPLES COMMENCENT À LA MAISON
Personne n’a mandaté les États-Unis d’être le gendarme de la liberté religieuse dans le monde. Il s’agit donc bien d’une décision unilatérale, s’affranchissant même le passage par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
- Pompeo, le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères des Etats-Unis, qui a fait l’annonce est connu pour ses affiliations avec des religions considérées par les communautés dites « les minorités » et plus singulièrement les « Afro-américains » comme des racistes et des extrémistes violents aux États Unis.
La réalité est que le Gouvernement de M. Trump prépare sa sortie et doit plaire à ses lobbies religieux, tous des lobbies blancs. Il s’agit peut-être aussi de se positionner pour prendre des « postes » dans les institutions de lobbying religieux.
En fait, il serait plus approprié pour les États-Unis de se demander pourquoi ils n’ont pas aidé le Nigeria à éradiquer le terrorisme Boko Haram et pourquoi des armes américaines se retrouvent auprès de ces terroristes anti-liberté ainsi que leurs ramifications ailleurs en Afrique.
Le gouvernement sortant des États-Unis, -la confirmation est attendu le 14 décembre 2020 par le Collège électoral- offre un silence coupable inquiétant sur les violations des droits de l’homme sur son propre territoire, ce envers les minorités de couleur, les pauvres notamment envers les Afro-Américains.
Les Etats-Unis pourraient facilement figurer en numéro un sur la liste des pays adeptes du racisme communautaire, l’islamophobie sélectif et les crimes violents institutionnalisés de sa police, le tout dopé par l’impunité institutionnalisée envers les forces de sécurité américaine. Sauf que personne n’a eu le courage de faire cette liste.
Pour servir de modèle dans la défense de la liberté religieuse et apparaître comme un défenseur des droits humains, des droits des communautés et des droits des peuples, encore faut-il que les Etats-Unis en général soit un modèle du genre, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Mais, que ce soit un gouvernement sortant qui n’a encore pas officiellement reconnu sa défaite électorale attendant le verdict définitif et sans appel du collège électoral le 14 décembre 2020, cela semble résonner comme une sorte de « baroud d’honneur », l’ultime acte désespéré pour sauver l’honneur d’une administration Trump émaillé de polémiques et dont le Président, en janvier 2018, a traité les pays africains de « pays de merde 6 ».
Au total, le Nigeria ne peut nier les exactions de ses forces de sécurité contre les libertés et les droits des citoyens Nigérians au sens de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples.
La réaction du Gouvernement fédéral nigérian est attendue tant sur la présence d’armés américaines sur son sol que sur les violations de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, notamment sur le volet religieux. YEA.
8 décembre 2020.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur Afrocentricity Think Tank
© Afrocentricity Think Tank
Notes:
- USCIRF (2020). United States Commission on International Religious Freedom. Annual report 2020. United States Commission on International Religious Freedom: Washington D.C.. Accédé le 8 décembre 2020. Voir https://www.uscirf.gov/sites/default/files/USCIRF%202020%20Annual%20Report_42720_new_0.pdf; le cas des deux pays recommandés pour être placés sur la liste noire : Erythrée, voir page 18-19 et le Nigeria, voir page 36-39. Les autres pays africains concernées sont en observation : Algérie, Centrafrique, Egypte, Soudan. ↩
- Conseil de l’Union Européenne (2013). Orientations relatives à la promotion et à la protection de la liberté de religion et de conviction. Accédé le 8 décembre 2020. Voir https://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/137585.pdf ↩
- Rambaud, T. (2020). Le rapport 2020 de la Commission Américaine sur la Liberté Religieuse Internationale. Accédé le 8 décembre 2020. Voir https://chaosinformation.wordpress.com/2020/06/19/ecljle-rapport-2020-de-la-commission-americaine-sur-la-liberte-religieuse-internationale/ ↩
- LE 360 Afrique et AFP (2020). « Les Etats-Unis ont ajouté le Nigeria à leur liste noire pour entrave à la liberté religieuse ». In Le 360Afrique et AFP. 8 décembre 2020. Accédé le 8 décembre 2020. Voir https://afrique.le360.ma/autres-pays/politique/2020/12/08/32781-les-etats-unis-ont-ajoute-le-nigeria-leur-liste-noire-pour-entrave-la-liberte-religieuse ↩
- France Info et AFP (2019). « Nigeria : le mouvement islamique du chef chiite Zakzaky interdit ». In France TV info. 29 juillet 2019. Accédé le 8 décembre 2020. Voir https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/nigeria-le-mouvement-islamique-du-chef-chiite-zakzaky-interdit_3556469.html ↩
- Le Figaro et AFP, Reuters Agences (2020). « «Pays de merde» : la grossièreté de Donald Trump suscite un tollé ». In Lefigaro.fr. 13 janvier 2018. Accédé le 8 décembre 2020 Voir https://www.lefigaro.fr/international/2018/01/13/01003-20180113ARTFIG00038-pays-de-merde-la-grossierete-de-donald-trump-suscite-un-tolle.php ↩