BBC – en français
Invité du journal : Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste, Directeur Afrocentricity Think Tank
Nom du Journaliste à la Rédaction française : Mme Marina Daras.
BBC Afrique. Rédaction française. Londres.
Emission – Journal du 10 avril 2020. Journal du soir. BBC Info.
Sujet : Afrique subsaharienne en récession et le Covid-19
BBC : Selon les prévisions de la Banque Mondiale, l’Afrique subsaharienne va subir une récession pour la première fois depuis un quart de siècle ; une conséquence de la pandémie du Covid-19 perturbe les économies. L’institution de Bretton Woods estime que l’économie des 54 pays du continent pourrait se contracter de 2,1 % pour marquer un taux de croissance négatif de -5,1 % cette année. Pour nous aider à comprendre ces chiffres, l’économiste togolais Yves Ekoué Amaïzo nous rejoint en direct de Vienne en Autriche ? Bonsoir M. Amaïzo :
YEA : Bonsoir à vous et bonsoir aux auditrices et auditeurs de BBC.
- En quoi est-ce que les inquiétudes de récession en Afrique, évoquée par la Banque Mondiale, sont bien fondées ?
Tout d’abord, jusqu’en fin décembre 2019, il faut distinguer entre les pays qui avaient une croissance économique positive mais faible, soit moins de 2 % et ceux qui étaient au-dessus de ces 2 %. La plupart des pays africains étaient au-dessus et la moyenne africaine était autour de 3,3 %, derrière la moyenne asiatique… Les pays européens étaient ceux qui étaient à la traîne de la contribution à la croissance économique mondiale. Aussi, lorsqu’une récession survient, ces derniers seront les premiers à voir leur croissance s’inverser et devenir négative, ce avec une magnitude importante compte tenu du degré d’intégration dans les chaines de valeurs productives et plus globalement de la mondialisation, notamment avec une désindustrialisation et délocalisation vers les pays asiatiques, notamment la Chine. La France est en récession et son ministre des finances n’hésite plus à parler de croissance négative possible à -5 % ou – 6 %.
Oui, les pronostics de récession en Afrique de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international sont fondés. Toutefois, il faut relativiser tout ceci. La récession sera pour tous les continents. Mais c’est la capacité à sortir de la crise sanitaire, puis à maintenir sa capacité de création de richesses et à distribuer cette richesse en termes d’amélioration de pouvoir d’achat aux populations qui va devenir déterminant. Tous les régimes ou gouvernants qui vont faillir à ces deux critères risquent au mieux de ne plus être réélus, ceci pour les pays démocratiques, et de subir des crises politiques, socio-économiques, voire des coups d’Etat pour les régimes autocratiques ou non démocratiques.
Rappelons d’ailleurs que la dette extérieure totale de l’Afrique, autour de 580 milliards de dollars des Etats-Unis en 2018, a progressé de 150 % en 10 ans, soit entre 2007/2008, juste après la dernière crise financière et 2018, ce bien avant la crise sanitaire en cours du Coronavirus – COVID 19. Autrement dit, il faut faire la différence entre le principal de la dette extérieure de l’Afrique et les taux d’intérêts usuriers pratiqués sur ces mêmes dettes africaines, ce bien avant la crise du COVID-19. Attention d’ailleurs à ce que le remboursement de la dette extérieure ne vienne pas faire oublier l’urgence de trouver des solutions africaines et souveraines à la pandémie du COVID-19, au plan opérationnel.
Bien qu’actuellement, le nombre de victimes du coronavirus en Afrique reste faible par rapport à l’Europe et aux Etats-Unis, rien ne présage de ce que pourrait être l’avenir si les mesures de protection et de prévention ne sont pas suivies par les populations africaines.
- En Afrique, quels sont les secteurs susceptibles d’être les plus touchés ?
L’Afrique se caractérise d’abord par l’exportation de matières premières non transformées comme le pétrole, les produits miniers, les produits agricoles. Donc les exportations de matières premières non transformées (mines et agriculture) vont subir une chute de la demande et des cours mondiaux, sans compter la récession économique qui se profile à l’horizon au plan mondial et africain.
La chute des prix de ces produits non transformés en Afrique risque de limiter les recettes et donc la marge de manœuvre économique de nombreux gouvernements et surtout faire sauter le peu d’actions qui étaient faites aux niveaux sociaux, culturels et environnementaux. Mais comme l’investissement dans les infrastructures sanitaires n’ont pas été la priorité des priorités au cours des 10 dernières années pour de nombreux pays africains, il faut craindre une difficulté à soigner les victimes si le COVID-19 devait proliférer et rester contagieux dans des régions où les mesures barrières ne sont pas respectées. La prévention avec des pratiques médicales ancestrales et efficaces comme les mélanges de plantes africaines avec des principes actifs complémentaires et non créateurs d’effets secondaires ou les antipaludéens doivent être privilégiés. Au plan politique, il faudra nécessairement faire appliquer la réciprocité dans les décisions administratives arbitraires appliquées, sans discernement aux ressortissants africains (notamment la Chine). Mais il faut reconnaître que les pays où la température extérieure demeure régulièrement au-delà de 27-30 degré reste des pays les moins touchés pour le moment.
Pour ce qui est des importations, les commerçants vont subir un choc et devront repenser l’organisation de leurs propres chaines de valeur nationales, régionales et africaines. J’ai toujours été partisan de l’économie de proximité et de l’économie circulaire pour les pays africains, notamment en matière alimentaire, sanitaire, et du logement afin d’assurer d’abord la sécurité dans ces domaines. Le Coronavirus pourrait aider à repenser les solutions économiques africaines de mimétisme religieux d’ailleurs face à la déstabilisation d’un système mondialisé inégalitaire et injuste pour les peuples victimes. La croissance économique de l’Afrique subsaharienne devrait être revue à la baisse, au mieux entre 0 % et 1 % pour 2020.
- Que signifient concrètement ces sombres prévisions pour l’Africain moyen ? Le fonctionnaire, le petit commerçant, le travailleur informel ?
YEA : Pour l’Africain au revenu faible, les prix vont augmenter et la capacité à obtenir un revenu sur le cycle très court, soit la journée, devra être reconsidérée. A défaut, la violence de proximité risque d’augmenter. Les responsabilités pourraient alors se déplacer vers les dirigeants les moins prévoyants. Les dirigeants africains, souvent peu soucieux du bas peuple, devront nécessairement réfléchir à la mise en place d’un revenu minimum universel, sinon, les risques de crises sociales et politiques finiront par l’imposer.
- Y’a-t-il des instruments auxquels les États africains peuvent faire recours pour atténuer l’impact de cette récession programmée ? Par exemple, le quantitative easing (ou assouplissement quantitatif) qui permettra de baisser les taux d’intérêt et d’augmenter la masse monétaire ?
Les techniques monétaires ne sont qu’un volet du problème. Encore faut-il que les pays africains contrôlent leur banque centrale. Ce n’est pas le cas des pays d’Afrique francophone qui sont en fait tributaire du trésor français, de l’Etat français et indirectement de la banque centrale européenne. Un paradoxe. Pour les autres pays comme le Nigeria où les taux directeur de la banque centrale du Nigeria est structurellement trop élevé, il va falloir réfléchir sur le train de vie de l’Etat et surtout de savoir sur les dépenses effectuées par l’Etat sont efficaces. En attendant, il y aura besoin d’auditer les prélèvements (taxes, impôts et cotisations) et les affectations réelles pour savoir si les effets escomptés sont au rendez-vous. Mais cela veut aussi dire que l’Etat africain globalement très interventionniste, n’est pas efficace. Face au COVID-19, cette gouvernance devrait voir son inefficacité apparaître au grand jour, à moins que l’absence de statistiques (volontaires ou involontaires) ne permettent pas de prendre conscience que la crise sanitaire ne peut se résoudre par quelques préceptes monétaires isolés et non concluants pour des Etats africains, massivement interventionniste.
La solution passe par des décisions souveraines des dirigeants africains à partir des réalités de leur Peuple et non pas par un mimétisme consistant à copier des solutions venues d’ailleurs, parfois erronées comme le refus de promouvoir les antipaludéens. Il faut savoir que les respirateurs artificiels ne sont pas toujours la solution. Le COVID-19 détruit les globules rouges et du coup, les victimes et malades n’arrivent pas à s’oxygéner. Ce phénomène a été observé dans le cas de la malaria et du paludisme… Aussi, la prévention naturelle est à privilégier avec entre autres l’artémisia, la quinine, le kinkéliba, le gingembre, l’eucalyptus, la citronnelle, le corossol, le bitacola, les épinards africains (ndolè) et la médecine traditionnelle africaine à partir des plantes avec des principes actifs reconnus et ne créant pas d’effets secondaires. Tout ceci consiste d’abord à augmenter la capacité de son système immunitaire à résister naturellement. Mais pour mettre en œuvre une politique de prévention digne de ce nom en Afrique, il faut une décision souveraine africaine de procéder à des recherches, faire constater les résultats et les faire homologuer… Quand au traitement, tant que certains dirigeants africains miseront d’abord sur l’évacuation sanitaire vers les pays créanciers au lieu de faire un maillage d’établissements hospitaliers sur les territoires nationaux, il y aura encore beaucoup à faire en termes de neutralisation du complexe du « blanc ».
- Presque tous les indicateurs économiques sont au rouge. Pourquoi la Banque Mondiale se fait réticente à parler de crise économique ? Est-ce pour éviter toute panique ?
La banque mondiale ne tardera pas à parler de récession et de crise économique suite à la crise sanitaire COVID-19. Elle doit revoir ses prévisions pour l’Afrique subsaharienne pour le mois d’Avril 2020, prévision que le coronavirus a prise de court. Mais les institutions de Bretton-Woods sont parties intégrantes de cette crise car le remboursement de la dette imposée… a empêché de nombreux pays e conduit sur le terrain à ce que de nombreux gouvernements ont choisi de ne pas investir massivement dans la sécurité sanitaire. C’est ainsi que les statistiques, les approches peu couteuses fondée sur la prévention et l’utilisation de principes actives non modifiés notamment avec les plantes, la priorité pour des traitements moins coûteux et plus efficace à partir de médicaments génériques produits en Afrique font encore défaut sur le continent. La récession en Afrique est une conséquence du COVID-19 mais, pas que. Les mauvaises affectations en matière de dépenses publiques au profit de plus grand nombre ne peuvent être occultées. Mais pour cela, il faudrait un audit indépendant. Ce que de nombreux dirigeants rechinent à faire.
Je vous remercie. YEA.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO.
Directeur Afrocentricity Think Tank
14 avril 2020
© Afrocentricity Think Tank.
Ecouter l’intervention dans le journal du soir de BBC du 10 avril 2020 : https://youtu.be/VyFghYcVq18