« Nous avons les ressources. Oui, mais si c’est d’abord le colonialisme qui nous a empêchés d’accumuler les capitaux nécessaires au développement, c’est nous-mêmes qui n’avons pas réussi à utiliser à fond notre pouvoir depuis que nous sommes indépendants pour mobiliser nos ressources afin de faire effectivement démarrer notre développement économique et social. » Ainsi parlait Kwame Nkrumah. De par ces propos extrait de la conférence au sommet des pays indépendants africains (Addis-Abeba, mai 1963)Kwame Nkrumah faisait des deux entités que sont le colonisateur et le colonisé, les responsables de l’état de sous-développement de l’Afrique. Le colonisateur d’abord et ensuite le colonisé. Ici Nkrumah se limite à la colonisation en tant que facteur exogène à la base de l’incapacité de l’Africain à accumuler des capitaux. Economie de parole et de vérité à un moment exceptionnel que celui de la naissance de l’OUA ? Une chose est sûre, bon nombre d’Africains de cette époque là et d’aujourd’hui feront fort de rappeler à Nkrumah qu’il a omis de faire cas de la traite négrière. Aussi aurait-il mieux fait de dire que ce sont d’abord les négriers du XVIe siècle et les explorateurs du XXe qui ont de façon extrinsèque barré la voie au développement de l’Afrique. Avec donc l’esclavage, la colonisation et l’africain indépendant, le décor est planté. Cependant il est à rappeler que Nkrumah, dans cette affirmation, s’appesantit plus sur la responsabilité de l’africain indépendant dans cet état de choses. C’est cette lecture autocentrée du sous-développement du continent qui l’a poussé du haut de son château d’Osu à crier de vive voix son vœu de voir une Afrique unie et forte. S’il plaidait pour la création des Etats-Unis d’Afrique, il n’en demeure pas moins qu’il était conscient que la force de cet ensemble unifié ne pouvait provenir que d’un sursaut culturel, intellectuel et civilisationnel : le panafricanisme.
Prononcée pour la première fois lors de la conférence de Londres en 1900, le terme panafricanisme désignait autrefois une simple solidarité fraternelle entre les noirs d’ascendance africaine des Antilles britanniques et des Etats-Unis d’Amérique. Après avoir gagné l’Afrique au cours du XXe siècle dans un contexte de marginalisation générale des Noirs à travers la traite négrière et la colonisation, le mouvement va connaitre une nouvelle orientation. A partir de ce moment, le panafricanisme devient une vision de solidarité et d’unité des peuples noirs dans leur ensemble. D’après le dictionnaire Larousse, le panafricanisme s’entend de l’idéologie qui vise la solidarité et l’unité des peuples africains. Il s’agit d’une doctrine politique et socioculturelle qui prône l’unité des Etats africains comme étant l’unique voie de leur libération effective, de leur émancipation et de leur développement. Considéré comme une doctrine philosophique, le panafricanisme propose l’Afrique dans sa globalité comme devant être le commencement et l’aboutissement de toute action politique, économique et culturelle relative au continent considéré encore à ce jour comme étant le continent « berceau de l’humanité ».
De la visée générale du panafricanisme sont nées plusieurs visions. Les travaux d’intellectuels tels que W. E. B. Du Bois, Cheikh Anta Diop, Asante Molefi Kété etc. qui ont pour l’essentiel consisté à une restitution et une réhabilitation culturelle et historique du rôle de l’Afrique dans la civilisation moderne, ont eu pour conséquence la naissance du paradigme d’afrocentricité. On pourrait donc dire que l’afrocentricité est d’abord le fruit du sursaut intellectuel des panafricanistes. Mais peu de temps avant les indépendances, une autre tendance qu’on aurait au départ pu considérer comme le bras armé du panafricanisme commence par se développer. Théorisée pour la première fois par le philosophe et théoricien camerounais Achille Mbembe dans son œuvre majeure intitulée De la Postcolonie : Essai sur l’Imagination Politique en Afrique, la notion d’afro-radicalisme se démarque de l’afrocentricité dans la mesure où elle propose de bâtir l’identité africaine uniquement par opposition à l’Occident.
En somme le paradigme d’afrocentricité et la tendance afro-radicale relèvent tous deux d’une vision panafricaniste. Elles ambitionnent toutes deux de favoriser l’émergence d’une civilisation africaine mais sur des bases différentes. Le conflit apparait donc dans leurs démarches respectives.
I- Clarification conceptuelle
1- Afro-radicalisme
Il est avant tout propos nécessaire de préciser que l’afro-radicalisme n’est pour l’instant pas une idéologie structurée répondant à une dialectique rigoureuse. Il s’agit pour l’instant d’un état d’esprit. Ce terme apparait pour la première fois dans la préface de l’œuvre majeure du philosophe et théoricien camerounais Achille Mbembe à savoir : De la Postcolonie : Essai sur l’Imagination Politique en Afrique. Théorisant l’idéologie afro-radicale Mbembe explique qu’elle ambitionne de faire endosser à l’Occident tous les échecs du continent. Tout en dénonçant la colonisation, les tenants de cette pensée imputent aux colons les torts que les leurs ont subis, puis s’en prennent uniquement aux colonisateurs « d’avoir perpétré le meurtre froid des rêves des peuples ». Mbembe affirme aussi que l’afro-radicalisme naîtrait d’une entaille originelle, de la rencontre entre l’Occident et l’Afrique, vécue comme un viol, ce qui empêcherait de penser et de formuler un discours épuré de la haine de l’autre, toujours perçu comme coupable des maux du continent. Ainsi donc le sous développement de l’Afrique s’expliquerait surtout par le pillage dont a été l’objet l’Afrique et la domination politique et économique dont elle est l’objet de la part des puissances étrangères.
2-Afrocentricité
C’est dans un souci d’harmonisation et d’homogénéisation conceptuelle avec les universitaires du monde panafricaniste que nous avons opté pour le terme afrocentricité et non afro centrisme, ce dernier étant le terme utilisé pour désigner les résultats produits par les spécialistes étrangers des études africaines.
Selon Asante Kété Molefi, les Africains (au sens large) ne pourraient efficacement contribuer à l’humanité que s’ils se reconnectaient radicalement à leur propre « africanité » ; que s’ils se réappropriaient et réinvestissaient leurs héritages ancestraux, dans tous les domaines de l’activité humaine : politique, économique, culturelle, spirituelle, philosophique, etc. Ils réhabiliteraient par là-même leur propre conscience historique collective, en vue de redevenir les principaux acteurs de leur vie individuelle ou collective. Il s’agirait, selon lui, pour les Africains éparpillés au monde de « renaître » à eux-mêmes, et de reprendre leur destin en main, après avoir été vaincus par les Européens/Occidentaux au cours des cinq derniers siècles.En somme, à travers l’afrocentricité, l’Africain d’où qu’il soit réapprendrait, selon lui, à se connaître soi-même, jusqu’à mobiliser des moyens « scientifiques » dans ce but, pour ensuite penser et agir en fonction de cette connaissance de soi enracinée dans son histoire.
II- Les manifestations afro-centristes et afro-radicales
1- Les manifestations afro centristes
a- Au plan littéraire
Lorsque la notion de panafricanisme s’est étendue à l’Afrique dans le but d’hypertrophier les solidarités entre peuples noirs dans leur ensemble, une élite originaire d’Afrique noire francophone et des Antilles a accaparé l’idéologie qu’elle a ensuite propagée à travers le courant littéraire et politique connu sous le nom de négritude. S’il est vrai que ce courant nait par opposition à une francité perçue comme oppressante, son but ultime, tout comme l’afrocentricité, était d’œuvrer à une réhabilitation économique, politique, morale, artistique, culturelle et sociale des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie et d’Océanie.
D’autres penseurs africains qui se démarquent très nettement du courant de la négritude de par la rigueur scientifique dont fait preuve leurs travaux et écrits se sont aussi illustrés et ont contribué de fort belle manière à l’histoire des peuples noirs et surtout africains. Grâce notamment aux recherches menées dans le cadre de la rédaction du livre Nations Nègres et Cultures Cheikh Anta Diop à travers une méthodologie pluridisciplinaire reconstitue l’identité noire des pharaons et des populations de l’Egypte ancienne.
Dans les milieux afro-américains, une littérature afro-centriste très prolixe s’est aussi développée au fil des ans. Le précurseur en la matière fut Carter Godwin Woodson avec la création de la revue le Journal of Negro History en 1916. Aidé dans son initiative par son ami W. E. B. Du Bois cette revue qui traitait de l’histoire afro-américaine plaçait l’Egypte ancienne, une civilisation nègre, au cœur de l’histoire de la civilisation moderne. A sa suite de nombreux intellectuels afro-américains au nombre desquels le très charismatique Asante Molefi Kété avec ses soixante-quatorze œuvres nous montre une Afrique, berceau de l’humanité et force motrice des gènes de la civilisation occidentale.
b- Une tendance passéiste
Dans son livre très critique de la conception subsaharienne de la notion du développement, Axelle Kabou affirme : « l’Afrique ne se meurt pas : elle se suicide dans une sorte d’ivresse culturelle pourvoyeuse de seules gratifications morales. » Bien avant elle son compatriote Ebongué Soéllé, dans un article intitulé Les Racines de l’Authenticité publié en 1970 dans la revue Bingo mettait déjà en garde contre une afrocentricité exclusive qui aurait pour finalité d’enfermer les africains dans des temples du passé sans aucune fenêtre où la mort par asphyxie deviendrait la seule alternative de sortie. Si l’afrocentricité a le mérite d’avoir combattu le paradigme euro centriste sur le terrain scientifique; si l’on peut lui devoir une fière chandelle pour avoir permis aux peuples noirs en général et aux Africains en particulier d’aboutir à une réhabilitation de leur propre conscience historique collective, il demeure qu’elle a failli à faire d’eux les principaux acteurs de leur vie individuelle et collective. Le paradoxe réside en ce fait qu’à partir du moment où les africains en général ont découvert, compris et accepté que la civilisation africaine était par le passé une civilisation qui a révolutionné l’histoire de l’humanité et serait celle qui a donné naissance à la civilisation gréco-romaine, les africains ont jugé bon avoir droit à un repos récréatif dans la longue et douloureuse marche de leur captivité. C’est ce qui justifie le fait que dès le début des années 1970, au moment où la société de consommation était une tendance très en vogue, les intellectuels africains ont jugé bon que ce type de société était foncièrement mauvais pour l’Afrique parce que l’africain est par essence un individu qui doit rester en parfaite harmonie avec la nature (le taux d’industrialisation y étant très marginal). Par conséquent elle devrait se replier et chercher à construire son propre modèle de société qui du moins affecterait moins la nature comme ce fut le cas avec ses glorieuses civilisations passées. Plutôt que de prendre en main leur destin face à l’histoire des temps modernes et pencher pour un pragmatisme d’action les africains adeptes des théories afro centristes se gratifient de la supériorité des civilisations africaines. Et pourtant les rêves d’originalité intégrale sont utopiques depuis 1945 au moins. En clair dans sa manifestation sur le terrain, l’afrocentricité a le mérite de ne pas avoir assez de courage afin de rejeter fermement les valeurs objectivement nuisibles au progrès.
2- Les manifestations afro-radicales
a- Au plan littéraire
C’est à la faveur de la théorisation de la notion d’afro-radicalisme par Achille Mbembe que nous avons essayé de décortiquer les différents courants littéraires africains afin d’en déduire conformément à la définition du concept celles qui ont une tendance afro-radicale. La dénonciation et la contestation, la victimisation et la culpabilisation étant les procédés commodes de la veine afro-radicale le roman de contestation conçu avant les indépendances nous intéresse de ce point de vue. En effet, il met en scène des héros dont la condition reflète le malaise et la colère d’autochtones soumis à une culture occidentale qui leur est étrangère et qu’ils rejettent vigoureusement en l’accusant de tous les maux. Dans cet ordre d’idées nous pouvons citer Léopold Oyono (Le Vieux nègre et la médaille, 1956), son compatriote Mongo Béti (Ville cruelle, 1954 ; Le Pauvre Christ de Bomba, 1956) et Sembene Ousmane (Les Bouts de Bois de Dieu, 1960). Le procédé est le même : l’ordre colonial est contesté voir diabolisé. Il s’agit de mettre en scène sous forme de témoignage accablant le sort fait aux hommes de la colonie. Ils peignent avec force détails une société zombifiée où tous les rapports sont gangrenés par un système de domination-exploitation. La colonisation y signifie perte des valeurs traditionnelles et culturelles.
b- Au plan politique
Le processus de décolonisation dans la plupart des cas, a été marqué par des luttes dont l’objectif était d’arracher et non de négocier l’indépendance. Certaines Etats, une fois l’indépendance, acquise se sont construites justement par opposition à la puissance colonisatrice. Ainsi au cours de la décennie 1960-70 et même après, certains chefs d’état ont vite fait d’identifier l’ex-colonisateur comme l’ennemi ultime dans le but de créer des solidarités entre les peuples et ce pour plusieurs raisons. D’abord, les Etats nés au lendemain des indépendances étaient faits d’une multitude de groupes ethniques. S’ils se sont unis dans le but de voir partir le colonisateur, les divergences internes risquaient de surgir une fois l’ennemi vaincu. Par conséquent il fallait de manière perpétuelle exacerber l’argumentaire de l’omniprésence de cet ennemi afin de folkloriser les divergences surtout que les partis politiques étaient pour la plupart des partis à base ethnique ou régionaliste. A ce niveau l’afro-radicalisme a donné lieu au nationalisme dans certains cas et au marxisme dans d’autres. Ensuite lorsque le besoin d’asseoir une dictature s’est fait ressentir, l’afro-radicalisme a encore été d’un grand apport. Dans certains pays africains tels que le Tchad, l’ex-Zaïre, la Centrafrique, les dirigeants de l’époque ont assis leur dictature sur des bases identitaires car en plus d’agiter le prétexte [presque] fallacieux d’un ennemi omniprésent, il fallait, si l’on veut efficacement lutter contre cet ennemi prôner l’émergence d’une identité culturelle nationale dont le seul but était, dans certains cas, de consacrer une pseudo-république et se faire investir roi. Cela a été notamment le cas de Mobutu Sésé Seko autoproclamé roi du Zaïre, Bokassa qui lui a été intronisé empereur en Centrafrique et Ngarta Tombalbaye qui prônait la Tchaditude au Tchad. Le besoin en tout lieu et en toute circonstance de se définir par rapport à un ennemi est allé jusqu’à susciter et alimenter même les dérives les plus absurdes et les plus folles.
c- Un immobilisme intellectuel
L’une des manifestations de l’afro-radicalisme au plan politique est l’exogénéisation des causes de l’arriération car « plus l’Afrique s’est éloignée des voies permettant de la hisser à un rang respectable au plan mondial, plus elle s’est rattachée […] à orienter les esprits vers un interminable complot extérieur, de sorte qu’aujourd’hui on sait à peu près tout sur les mécanismes de la logique occidentale de domination et fort peu de choses en revanche sur la logique africaine de sujétion sans laquelle la première n’existerait pas ou n’aurait que des effets limités ». Ce qu’Axelle Kabou tente de nous dire objectivement ici, c’est que l’état de sous-développement de l’Afrique est le fait d’une fuite de responsabilité. Ayant failli à Addis-Abeba à unifier le continent en 1963 en proclamant le principe de l’intangibilité des frontières qui a consacré la balkanisation du continent, les leaders africains [qui ont l’imagination très fertile] ont vite fait de trouver un substitut qui faute de solidarité continentale allait booster le développement. En effet nombre sont les hommes politiques africains qui, à travers les tribunes internationales ont crié au scandale du pillage de l’Afrique en réclamant des dédommagements. Dénoncer d’abord et attendre des réparations ensuite. Cette tendance s’est amplifiée à telle enseigne que les occidentaux ont jugé nécessaires d’introduire les APD à titre de dommages et intérêts. Mais comment peut-alors expliquer le fait que l’Afrique qui au départ était partie pour réclamer des dommages et intérêts à l’occident en soit devenue aujourd’hui débitrice ?
III- Le rapport conflictuel
Afro-radicalisme et afrocentricité relèvent d’abord et avant tout du panafricanisme. Ces deux idéologies sont à bien d’égards comme deux branches d’un même arbre : l’afrocentricité peut être vue comme l’aile diplomatique et l’afro-radicalisme l’aile militaire. Elles sont, de ce point de vue, complémentaires. Mais il reste que ce sont deux idéologies qui se disputent une seule et même place : celle de la culture et de la civilisation africaine. Chacune d’elles veut asseoir une identité africaine sur des bases propres, distinctes et sans équivoque. Et comme l’a montré Samuel Huntington dans son œuvre Le Clash des Civilisationslorsque deux idéologies revendiquent une même place, il y a tout de suite clash.
Si pour les afro centristes, le sous développement de l’Afrique s’explique par une méconnaissance se soi et le manque de solidarité et d’unité entre les Etats d’Afrique, pour les afro-radicaux, le sous développement de l’Afrique s’explique surtout par le pillage dont a été l’objet l’Afrique et la domination politique et économique dont elle est l’objet de la part des puissances étrangères. Ainsi les uns situent l’origine des problèmes de développement de l’Afrique dans la perte de l’identité culturelle et civilisationnelle de celle-ci tandis que les autres les situent dans la traite négrière, la colonisation, le néocolonialisme, la détérioration des termes de l’échange, etc.
Dans le combat pour la construction d’une nation Africaine et des Etats-Unis d’Afrique, ce sont ces deux tendances qui structurent les réflexions et alimentent les débats. Ainsi les afro-radicaux considèrent la lutte contre les puissances qui ont pillé ou qui dominent l’Afrique comme le défi majeur pour l’Afrique aujourd’hui. Cette thèse est présente dans l’œuvre « l’Afrique humiliée » de l’essayiste malienne Aminata TRAORE.
Pour les afro centristes le combat pour l’unité de l’Afrique est d’abord et avant tout un combat pour l’affirmation de l’identité africaine.
Dans le monde d’aujourd’hui, les questions identitaires se posent avec acuité. Les nations et les peuples tentent de répondre à cette question fondamentale commune aux humains : Qui sommes-nous ?
Pour les afro centristes la réponse à cette question fondamentale, s’impose sous le format : Afrique, un peuple-une culture-une identité. Mais pour les afro-radicaux on sait qui on est si et seulement si on sait qui on n’est pas ; et bien souvent contre qui on est. Ainsi la réponse a cette question fondamentale s’impose ici en terme de « nous contre les autres ». Ce rapport identitaire de nous contre les autres est un rapport conflictuel par excellence.
Comme on le voit les afro centristes et les afro-radicaux n’ont pas la même lecture des causes du sous développement de l’Afrique et de la démarche à suivre pour la construction de l’Afrique. C’est cette divergence de point qui nourrit les contradictions observées sur le terrain entre les afro centristes et les adeptes des positions afro-radicales d’une Afrique véritablement libre. En réalité la logique afro-radicale est la manifestation d’une logique ancienne qui a toujours caractérisé les luttes des hommes : tous ceux qui sont en quête d’identité et d’unité ont besoin d’ennemis. Les puissances étrangères apparaissent donc comme cet ennemi. Le conflit peut se résumer en ces termes : sommes-nous africains parce que nous possédons une histoire, une culture et une civilisation ? Ou sommes-nous africains parce que nous avons été violentés par l’occident ?
IV- La responsabilité de la jeunesse
Jamais dans l’histoire du continent africain la jeunesse n’aura été autant en quête de repères. Son désenchantement a pour cible autant les intellectuels africains que l’occident. L’inertie criante du continent face à une mondialisation dont l’appétit vorace est sans bornes crée de plus en plus un sentiment de révolte chez la jeunesse africaine. Dans cet ordre d’idées, ce sont plus les préoccupations de bien-être social et économique qui occupent les esprits et structurent les réflexions. Ainsi face à une Afrique violée et violentée, la jeunesse clame-t-elle d’abord son indignation face à la lâcheté historique dont a fait preuve les dirigeants africains de la période des indépendances en consacrant la balkanisation plutôt que l’unification du continent à Addis-Abeba ; ensuite elle chante sa désillusion face à des dirigeants contemporains qui sont incapables d’élaborer des politiques qui auront pour but de conduire à une révolution sociale à terme ; enfin elle crie au scandale face aux mécanismes mis en place pour maintenir ad aeternam l’Afrique dans la pauvreté.
Mais cette jeunesse, semble t-il, oublie ou du moins est ignorante que si l’Afrique est aujourd’hui constitué de cinquante-quatre fragments, cela dénote d’une méconnaissance de l’identité africaine ou d’une mauvaise appropriation de cette notion. Par rupture donc d’avec son histoire et son identité culturelle cette jeunesse qui n’a connu ni la colonisation ni la traite négrière a vite fait d’identifier un ennemi externe : l’occident. Ce type d’afro-radicalisme de plus en plus en vogue au sein de la jeunesse n’est dans aucune mesure complémentaire de l’afrocentricité puisqu’il ignore tout cette dernière. En effet l’afro-radicalisme s’est développée par opposition à une afrocentricité jugée trop modérée dans ses méthodes. Il n’en demeure pas moins que l’afro-radicalisme découle de l’afrocentricité car au départ était la connaissance de soi et la connaissance de son histoire a permis d’identifier les facteurs et pesanteurs responsable du sous-développement de l’Afrique. L’exemple de Thomas Isidore SANKARA en dit long.
La jeunesse doit se réapproprier le paradigme d’afrocentricité. Si dans un souci d’amélioration des conditions de vie, la jeunesse dénonce les causes du sous-développement de l’Afrique, elle doit toutefois savoir et comprendre qu’aucun peuple n’a pu émerger en laissant de côté son histoire. S’il est vrai qu’il faut éviter de s’enfermer dans les temples du passé et s’asphyxier, il n’est pas faux non plus qu’il est nécessaire de chercher à connaitre son passé. Il incombe donc à la jeunesse de s’attacher del’audace d’être nous plutôt que de la nécessité de triompher des autres et éventuellement réconcilier afrocentricité et afro-radicalisme pour une Afrique forte, fière et digne.
Kochoni Oluwafemi Simon