Sylvain Amos : Journaliste,
Emission : « Fenêtre sur l’Afrique »
Samedi 20 octobre 2012, 20h00 – 21h00
Radio Kanal K, Aarau, Suisse
Contact : fenetre.afrique@gmail.com
Tel: 0041 78 949 19 14
Invités :
- Paul Heutching, Journaliste et Auteur
Email : auteursdumonde@free.fr, auteur entre autres en 2012 de Le bourreau a tué trois fois : Réflexions sur des siècles de Traites négrières, éditions Orizons : Paris. - Dr Yves Ekoué Amaïzo, Directeur du Groupe d’influence Afrocentricity Think Tank et Auteur, entre autres, en 2010 de « Crise financière mondiale. Des réponses alternatives de l’Afrique », éditions Menaibuc : Paris.
Internet : www.afrocentricity.info)
Email : yeamaizo@afrocentricity.info – Heure de passage : 20h00
Les commentaires écrits de Dr Yves Ekoué Amaïzo sont proposés ci-après.
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Questions de Kanal K (modérateur Sylvain Amos – SA)
Thème du jour : Tour d’horizon sur la Francophonie et son avenir.
Question 1 – Dr. Yves Ekoué Amaïzo, vous êtes le Directeur du groupe d’influence Afrocentricity Think Tank. Vous êtes également Consultant international et enseignez dans un « Business School ». Ma première question est simple et complexe : A quoi sert la Francophonie aujourd’hui ?
YEA – Réponses : Merci pour l’invitation. Aujourd’hui, c’est l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui porte la Francophonie. C’est une institution qui s’est structurée comme l’ONU avec des membres qui sont des Etats ou des Gouvernements partageant en commun la langue française et au moins 5 valeurs notamment : 1. La diversité culturelle avec une place prépondérante pour le Français ; 2. La paix ; 3. La gouvernance démocratique ; 4. La consolidation de l’État de droit et de la démocratie ; 5. La protection de l’environnement. L’OIF est dirigée par un Secrétaire général, l’ex-Président Abdou Diouf depuis 2002 (soit 10 ans) avec une Journée internationale de la francophonie fêtée le 20 mars de chaque année.
Dans son rôle d’influence, l’OIF qui est toujours en phase pour ne pas dire en alignement sur les positions de la France, s’implique régulièrement au sein de l’espace francophone dans au moins 5 dossiers 1. La prévention des conflits ; 2. La démocratie ; 3. L’éducation et accessoirement 4. Le sport et 5. L’économie du développement ; 5. Les tentatives d’organisation de consensus au sein de l’espace francophone avant les grandes décisions internationales.
Pour répondre à votre question, c’est une institution de rayonnement de la France et du Français et accessoirement des autres pays membres de l’OIF. Sous le couvert de l’aspect culturel, l’OIF permet de maintenir des liens privilégiés entre la France et le Canada (Gouvernement fédéral, le Québec le Nouveau-Brunswick) et des pays moins industrialisés.
L’OIF s’appuie sur quatre institutions : l’Agence universitaire de la francophonie, le média TV5, l’Université Senghor d’Alexandrie, l’Association internationale des maires francophones et une Assemblée consultative et elle travaille avec plusieurs associations francophones.
Rappelons que l’Algérie n’est pas membre de l’Organisation internationale de la francophonie, alors qu’avec plus de 70 % de sa population parlant le français elle serait le 2e pays francophone dans le monde, après la France.
Rappelons qu’en 2005 déjà, Alpha Omar Konaré, Président de la Commission de l’Union africaine déclarait au cours d’une conférence conjointe OIF et Union africaine à Cotonou que la démocratie africaine rencontrait des difficultés du fait de « la manipulation des constitutions, le dévoiement du multipartisme, les putschs à répétition, les restaurations autoritaires, l’affaiblissement et la criminalisation de l’État, l’occupation de régions riches en ressources par des mercenaires ». Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie a renchéri avec beaucoup d’euphémisme en rappelant qu’il y avait des « signes d’essoufflement, voire de refus de la démocratie » sur le continent. 7 ans après, on peut se demander ce qui a véritablement changé dans ce constat. Certes, quelques améliorations ici et là. Même la Démocratie exemplaire du Bénin montre des signes d’essoufflement aujourd’hui.
Question 2 – La francophonie et l’immigration choisie, cela continue ?
YEA – Réponses : Je pense que vous voulez parler de la France et de l’immigration choisie. Car pour ce qui est de la Francophonie, le Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, Mr Abdou Diouf a toujours eu une position constante sur ce sujet. En mars 2006, il déclarait déjà qu’il était indigné, choqué et heurté par le projet de loi du ministre français de l’Intérieur de l’époque, un certain Nicolas Sarkozy. Ce dernier s’était opposé à la « régularisation automatique des immigrés clandestins vivant en France depuis plus de dix ans, a globalement développé le concept d’une « immigration choisie et non subie » comme « principe fondateur de sa nouvelle politique d’immigration » » (Déclaration sur RFI, mars 2006). Abdou Diouf avait indiqué que ce projet était « politiquement et moralement inacceptable ». Il a préféré le concept d’immigration régulée.
La réalité est qu’avec le Président Hollande, seuls les excès de cette politique sont corrigés. La réalité est que cette politique s’applique avec une réciprocité de la part des Etats membres de l’espace francophone qui ne se laissent pas faire. Tous les pays riches ont besoin d’attirer les expertises et la main d’œuvre dont ils ont besoin. Cela se fait régulièrement avec la passivité des dirigeants africains qui voient là une occasion de se débarrasser de quelques ressortissants pouvant à terme remettre en cause leur gouvernance des pays.
Question 3 – Le Président français, François Hollande est-il sérieux quand il parle de Francophonie économique?
YEA – Réponses : Le Président François est toujours sérieux sinon, il le fait comprendre par l’humour. En l’occurrence, c’est une des grandes innovations de sa campagne électorale. Avec plus de 800 millions d’habitants, l’espace francophone peut promouvoir en son sein une francophonie économique. Mais la vraie question est de savoir à qui cela va profiter. Compte tenu des rapports de force, de la prépondérance de la France dans la zone Franc, de la monnaie FCFA qui permet d’avoir plus au moins 50 % des réserves des pays membres de la Zone franc (15) déposés sur les comptes du Trésor français et gérés par la France, A qui profiterait la francophonie économique dans la pratique ? Plus important, qui décidera des flux économiques et dans quel sens ? Du nord vers le sud comme de trop nombreux africains crédules en sont persuadés ou alors du Sud vers le nord, ce qui pourrait s’expliquer par l’enthousiasme de la France de François Hollande pour la « solidarité ».
Question 4 – La Francophonie de la solidarité, qu’est-ce que cela veut dire, notamment en référence à la Zone Franc et au FCFA? N’est-pas que une Francophonie de la culture française ?
YEA – Réponses : A l’origine, la Francophonie s’était fixée comme objectif « l’affirmation et le développement entre ses membres d’une coopération multilatérale dans les domaines ressortissant à l’éducation, à la culture, aux sciences et aux techniques, et par là au rapprochement des peuples ». Les résultats sont plutôt mitigés, pour ne pas dire décevants au plan économique. Il fallait trouver un concept fourre-tout qui arrangeait tout le monde et surtout les dirigeants africains. Ce fut la solidarité, un principe fondateur de la communauté francophone à la base de la stratégie de l’OIF tant aux plans politiques, opérationnels qu’en matière de concertation et de coopération. Le problème est que le rapport de forces n’a pas disparu pour autant.
Lors du 14e sommet de l’OIF à Kinshasa, le Président français François Hollande a réaffirmé la mise en place de « financements innovants, sous forme de taxes, à l’image de la taxe sur les billets d’avion et celles sur les transactions financières déjà en place ». Bien que le Royaume Uni n’est pas membre de la zone Euro mais voit transiter plus de 75 % des flux susceptibles d’être taxés, le montant de la Taxe proposée par François Hollande risque d’être modeste. D’ailleurs, il doit en être conscient puisqu’il s’est empressé de rappeler que tous les pays européens n’ont pas adhéré à ce principe et que les revenus de cette taxe seront « directement alloués à la lutte contre le VIH-Sida ».
Question 5 – La Francophonie des chefs d’Etats, existe-t-elle ?
YEA – Réponses : Il faut rappeler que 15 chefs d’Etats africains étaient présents au 14e sommet de l’OIF. S’ils étaient absents lors de l’investiture de Joseph Kabila sauf Robert Mugabe du Zimbabwe, il faut bien reconnaître que chacun attendait la position de la France pour se déterminer. Avec la venue de François Hollande, c’est de fait une réhabilitation pour Joseph Kabila. La réalité de ce que vous appelez la « francophonie des chefs d’Etats » est plus palpable avec les chefs d’Etat francophones africains et moins avec les autres pays non Africains. Mais les réseaux ésotériques entre les chefs d’Etat sont plus importants pour déterminer la puissance ou nuisance des chefs d’Etat africains que la grande messe des sommets de l’OIF.
Pas moins de 15 chefs d’Etats ont pris part au sommet de la Francophonie. Pensez-vous qu’il aura permis de réhabiliter l’image de l’absence des chefs d’Etat lors de la prestation de serment de Kabila?
Question 6 – Est-ce que la Francophonie a encore une quelconque influence au sein de l’Organisation des Nations-Unies ?
YEA – Réponses : S’il est vrai que le français a été longtemps considéré comme la langue de la Diplomatie, ceci n’est absolument plus vrai depuis la fin de la seconde guerre mondiale. L’OIF a recommandé depuis 2006 que le français soit utilisé dans les organisations internationales. Au niveau de l’Union africaine, ce sont les traducteurs qui permettent d’organiser l’équilibre entre l’anglais, le français, l’espagnol, le portugais, l’arabe et le swahili.
Même les ressortissants qui occupent des grandes fonctions internationales comme Mme Christine Lagarde, Directeur général du Fonds monétaire International (FMI) ou Pascal Lamy, Directeur général de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) choisissent l’anglais pour communiquer et ne s’en cachent pas. Il n’y a donc souvent que les délégations africaines pour défendre cette langue française souvent en réaction au fait que les documents, les rapports sont écrits en anglais et que la préparation des décisions importantes sont faites dans des rapports écrits dans la langue de Shakespeare et non dans celle de Molière. Il n’y a en fait aucun véritable engagement des responsables politiques français à soutenir la langue française au sein des organisations internationales. Le soutien des autorités françaises à des ressortissants francophones au sein des organisations internationales notamment l’ONU est quasi-inexistant. Alors, avec peu d’exemplarité de la part de dirigeants français pour la défense de leur propre langue, on peut croire qu’il n’y a souvent que l’Afrique francophone pour défendre cette langue, surtout parce qu’un grand nombre de dirigeants francophones ne maîtrisent pas l’anglais. En effet, dès lors que les «Africains francophones » maîtrisent l’anglais, adieu le français… C’est le besoin de bien de se faire voir par les Anglophones qui l’emporte. C’est rare de voir un responsable francophone qui maîtrise l’anglais s’exprimer en français dans les organisations internationales. Alors que les règlements internes des Nations Unies stipulent une égalité entre les six langues officielles de l’Organisation à savoir l’anglais, le mandarin, l’espagnol, le français, l’arabe et le russe, il n’y a pas de traitement égalitaire entre ces langues. Il faut maîtriser au moins deux langues parmi les 6 officielles pour diriger une organisation des Nations Unies. Les exceptions sont légions. Les principaux dirigeants des organisations des Nations Unies sont privilégiés quand ils parlent anglais et défavorisés quand ils ne maîtrisent pas l’anglais.
Question 7 – Votre mot de fin ?
YEA – Réponses : C’est le Sénégal qui a été désigné pour abriter le prochain et 15e sommet de l’OIF. Il semble que l’on tente de récompenser d’abord le Sénégal de Macky Sall pour sa démocratie vraie, une pensée pour Léopold Sédar Senghor, le 1er Président de ce pays qui a porté la Francophonie, surtout culturelle, puis le Secrétaire général Abdou Diouf pour ses loyaux services à la tête de l’OIF, et peut-être même l’Afrique qui regroupe le nombre le plus important de francophones dans le monde. Mais, est-ce que cela augmente la part de riz, de poisson ou de viande dans le quotidien des Africains ? Rien n’est moins sûr car personne ne s’est bousculé pour accueillir le prochain sommet puisque cela coûte aussi assez cher pour le budget des Etats. Mais certains Présidents africains disaient en coulisse, Blaise Compaoré pour ne pas le citer (le dimanche 14 octobre), que « ce qui manque à la France, c’est de connaître les réalités africaines et de les prendre en compte ». Les interdépendances sont telles que Blaise Compaoré a rappelé à François Hollande que « même s’il veut tout dire partout », il ne peut néanmoins pas « se passer de deux présidents impliqués à haut niveau dans la résolution de la crise malienne ». Alassane Ouattara était donc aussi visé.
Ce n’est plus l’ère du soutien inconditionnel de l’ex-Président français, Nicolas Sarkozy. Entre la Françafrique et la Francophonie, de nouvelles relations entre l’Afrique et la France se construisent. Mais cela dépendra aussi des ruptures effectives qui suivront les paroles prononcées par le Président français, François Hollande en Afrique. Je vous remercie pour l’invitation.
20 octobre 2012. YEA.