DEBAT SUR LA RADIO FREQUENCE PARIS PLURIELLE 106.3 FM
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Thème : Burkina Faso : L’insurrection populaire peut-elle être récupérée par les militaires ?
Journalistes :
- Mme Hortense G. FANGOE
- Dr Paul HEUTCHING
Invités :
- Mr Adama COULIBALY, Historien et expert du Burkina Faso. Représentant du collectif contre la confiscation de la démocratie au BURKINA FASO ; voir son article mis en ligne le 9 novembre 2014 et intitulé « DES ETATS GENERAUX DE LA DEMOCRATIE : contre la confiscation de l’insurrection populaire au Burkina », voir https://afrocentricity.info/medias/etats-generaux-democratie-contre-confiscation-linsurrection-populaire-au-burkina/2809
- Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Expert Economiste, directeur du groupe de réflexion, d’influence et d’action Afrocentricity Think Tank (www.afrocentricity.info)
- Makaila NGUEBLA journaliste indépendant et blogueur
Ecouter le débat en PODCAST : Samedi 7 novembre 2014 – 08h-10h
Podcast: Play in new window | Download (Duration: 2:00:00 — 44.9MB)
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Contribution écrite du Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur Afrocentricity Think Tank
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1. Que peut-on dire de l’histoire du Burkina-Faso ?
Je ne m’étalerai pas sur l’Histoire puisque votre invité l’a remarquablement fait. Mais il faut bien constater que la résultante principale des différents coups d’Etat au Burkina Faso depuis son indépendance pourrait se résumer en quelques points :
- La confiscation du pouvoir par les groupes militaires avec une constante dans la mauvaise gouvernance et l’impunité et l’arbitraire ;
- le refus d’écouter le peuple sauf peut-être l’épisode révolutionnaire de Thomas Sankara ;
- L’alignement sur les positions officielles ou officieuses de l’ancienne puissance coloniale ;
- Un maintien sous pression de l’économie dans un état de pauvreté malgré quelques améliorations de la croissance au cours de la dernière décennie.
2. Comment résumeriez-vous la situation actuelle au Burkina Faso ?
Il s’agit principalement de l’émergence de la vérité sur des régimes militaro-civils dans les pays francophones. Au Burkina Faso, face au besoin de ne pas tout perdre en termes d’intérêts, le mode de gouvernance des autocrates africains, comme Blaise Compaoré, était devenu incompatible avec la vision qu’ont les pays occidentaux pour préserver leurs intérêts dans ce pays. Par ailleurs, certains acteurs ont été pressentis et « profilés » pour devenir les futurs responsables du pays. Mais face à l’impossibilité d’utiliser le Sénat pour placer son frère comme futur chef d’Etat et le référendum pour modifier la Constitution du pays pour rester éternellement au pouvoir, le peuple a dit non.
Malheureusement, il faut constater que les dirigeants se sont eux-mêmes coupés du peuple et plus particulièrement des jeunes. Rappelons que plus de 50 % de la population sont des jeunes moins de 25 ans. La colère, l’incapacité du pouvoir de créer des emplois, d’attirer les investisseurs, d’améliorer le pouvoir d’achat et d’améliorer le bien-être général des populations, il fallait nécessairement organiser la continuité de l’impunité. C’est ainsi qu’avec le soutien de forces extérieures qui pour des raisons dites « humanitaires » acceptent d’exfiltrer le Président du Burkina Faso afin de mieux organiser l’après période « autocratie ».
Alors, il est possible de mieux comprendre que :
- l’insurrection populaire s’est transformée en coup d’Etat ;
- le maintien du pays dans la pauvreté et dans le blocage des alternatives et des innovations ;
- la promotion de l’injustice, de l’impunité et des inégalités ;
- la volonté de forces extérieures de structurer des changements politiques dans un contexte de crises ;
- le renforcement du poids de la France notamment du secteur privé français sur l’économie du Burkina Faso ; et enfin
- la difficulté à parler de transparence des comptes publics et de la responsabilité des militaires burkinabé non républicains dans la situation actuelle du pays ;
- les freins au processus concurrentiels permettant d’ouvrir des alternatives dans un monde fondé sur la compétition.
3. Pour vous, en quelques mots, quel est le bilan économique de Blaise Compaoré ? Bon ou Mauvais.
Il est mauvais. Un bilan économique se mesure par une population qui choisit librement de vous faire confiance pour améliorer son pouvoir d’achat. Sur ce plan, les inégalités ont augmenté au point d’être concentrées uniquement dans les mains d’un petit groupe autour de Blaise Compaoré qui chercheront à préserver ses intérêts économiques en influençant le Lieutenant-Colonel ZIDA ou le prochain responsable de la transition d’aller vers l’impunité et le non-jugement des acteurs…
L’avenir ne peut se résumer à l’impunité sinon, la révolution populaire aura été récupérée.
Avec un pays qui affichait, selon la Banque mondiale, un solde budgétaire déficitaire entre 1997-2002 de -2,8 %, il s’est retrouvé à cause de la gestion par des militaires à -10,2 % entre 2004-2008. En 2013, le solde budgétaire 2013 est de -9,4 % avec des estimations pour 2014 et 2015 autour de -8,3 % avant l’insurrection et le coup d’Etat… Il faut croire que ce solde passera en dessous de -10 % du fait justement de cette crise.
Rappelons que la moyenne du solde budgétaire de l’Afrique et de la zone franc en 2013 est de – 4,1 %, celle d’Afrique de l’ouest est de -6,7 % et d’Afrique centrale (CEMAC) de – 2,8 % 1.
Par ailleurs, le solde de la balance commerciale du Burkina Faso est resté structurellement négatif même si il y a eu des améliorations non pas du fait de la bonne gouvernance mais de l’annulation de la dette et des meilleurs prix des matières premières. On est passé entre 1997-2002 de -10,4 % à – 9,5 % entre 2004-2008. Le Burkina Faso a connu un équilibre en 2011 et le déficit a repris pour s’établir en 2013 à ‑3,3 % avec des prévisions autour d’une moyenne de -3,4 % 2014/2015.
Ces deux indicateurs suffisent pour montrer la difficulté des régimes militaro-civils à créer des richesses et surtout à s’organiser pour une amélioration généralisée de la richesse créée au sein d’une large majorité de la population.
4. Comment sortir ce pays du marasme économique dans lequel il se trouve
Il faut arrêter les politiques défaitistes de réduction de l’extrême pauvreté de l’ONU et s’engager résolument vers des politiques de création de richesses et de diffusion du savoir, du savoir-faire et des technologies notamment avec un secteur privé local qui doit s’organiser en agglomération dans les chaines de valeurs d’avantages compétitifs.
Le défi qui attend l’équipe, car il faut une équipe courageuse et désireuse de servir le peuple Burkinabé, est qu’elle apaise les tensions sans céder à l’impunité généralisée. Puis, il faut organiser la vérité des urnes et la vérité des comptes publics. Enfin, il faut savoir limiter la période de transition entre 9-12 mois afin de permettre au prochain Président élu démocratiquement et sans l’intervention des militaires et de puissance extérieure, de fermer la période autocratique de ce pays.
Bien, il faudra réhabiliter les martyrs de ce pays, donc Thomas SANKARA, Norbert ZONGO et tant d’autres moins connus, et pourquoi pas organiser, le procès de Blaise Compaoré, même si la France l’a exfiltré pour des raisons dites « humanitaires » pour que ce dernier ne parle pas.
Il faut espérer que l’impact de l’insurrection populaire sur les pays africains en général, ceux de la sous-région en particulier, puisse redonner du courage aux populations qui doivent comprendre que ces régimes militaro-civils ne les représentent pas et sont incapables d’une bonne gouvernance permettant la création de richesses et l’amélioration du pouvoir d’achat pour le plus grand nombre.
5. Que pensez-vous de la Charte de Transition proposée par le Lieutenant- Colonel ZIDA ?
J’ai pu lire que l’armée représentée par le Lieutenant-colonel ZIDA (Diplômé de l’Université Jean Moulin – Lyon 3 en France avant de s’engager dans l’armée avec des stages aux Etats-Unis), mais aussi les personnalités de l’opposition, la société civile, les chefs traditionnels et religieux avaient accepté une Charte de Transition avec la médiation des nombreux médiateurs (ONU, Chefs d’Etat de la sous-région, CEDEAO, Union africaine)… cela fait d’ailleurs beaucoup de médiateurs.
La « Charte de transition » que vont proposer les partis politiques et la société civile ne devrait pas faire l’objet d’un « nettoyage » par les militaires qui au passage semblent vouloir s’assurer une véritable virginité par l’implication de responsables du parti de l’ex-Président Blaise Compaoré dans le processus de transition et surtout s’assurer une grande part des postes au cours de la transition. Si cela devait s’avérer être la réalité, on aura alors assisté à une insurrection populaire récupérée par une partie de l’armée du Burkina-Faso. Il faut demander aux militaires de proposer leur Charte au lieu de les laisser « amender » celle issue du peuple.
La médiation devrait être de un an avec un gouvernement de transition suivie de « l’organisation d’élections présidentielles et législatives d’ici novembre 2015 ». Les modalités d’identification et de sélection des personnalités qui devront conduire la transition n’est pas à ce jour clarifiée. Il faut d’abord constater que la Diaspora Burkinabé, qui représente la 6e région de ce pays, n’a pas été considérée. Il faudra corriger ce manquement.
6. Que diriez-vous à l’endroit des populations, notamment sur le non-respect de la Constitution ?
L’insurrection populaire, à l’appel des partis de l’opposition, s’est transformée en coup d’Etat. La Constitution a été suspendue par le Lieutenant-Colonel ZIDA. De toutes façons, ce que prévoyait la Constitution à savoir le Président du Parlement prenait les rênes du pays n’était pas praticable, puisque le parlement était l’émanation de la contre-vérité des urnes.
Le peuple Burkinabé et les forces vives de la Nation y compris dans la Diaspora devront rester vigilants car il fut question à un moment de faire revenir au pouvoir Blaise Compaoré, avant que la France ne décide de l’exfiltrer vers Yamoussoukro en Côte d’Ivoire.
7. Votre position sur le non-respect de la Constitution au Burkina-Faso et ailleurs…
Face à l’aveuglement tant de Blaise Compaoré lui-même et la myopie de la France qui l’a soutenu tout au long de sa carrière, il faudra faire attention à la tendance des Africains à promouvoir l’indulgence intéressée qui finit toujours par se solder par une forme honteuse de promotion de l’impunité. Si c’est cela qui finira par sortir de la crise au Burkina-Faso, alors il faut croire qu’à terme, cela risque de déstabiliser les pays francophones. Un système d’auto-examen devant un tribunal national pourrait permettre éventuellement d’exorciser l’impunité dans ce pays.
En réalité, au moins plus aucun Président d’Afrique francophone acceptant volontairement d’être sous les fourches caudines économiques de la France, ne s’aventurera à modifier la constitution. Tous les moyens pour contourner cela pourraient voir le jour avec les risques que cela comportera pour chacun des Présidents qui s’y risqueraient. Le cas du Togo avec des élections communales jamais réalisées, des réformes constitutionnelles non effectuées depuis 10 ans et surtout une liste électorale non révisée consensuellement pourraient devenir le prochain test en grandeur nature.
8. Votre mot de fin
Les services que Blaise Compaoré a rendus à la France comme au demeurant au secteur privé français et à la dite communauté internationale occidentale ne peuvent faire l’économie de la violation fondatrice de son régime. Il faudra bien juger les crimes au cours des 27 années de pouvoir, dont le meurtre par les membres de la garde présidentielle en 1998 du journaliste Norbert Zongo, des trafics d’armes et de diamants et des guerres civiles dans les pays voisins et enfin la zizanie au sein des partis d’opposition dans les pays voisins où Blaise Compaoré a servi de médiateur dans les crises souvent fomentés ou instrumentalisés, sur lesquels il faut bien le reconnaître l’Occident de la postcolonie a choisi de fermer les yeux.
Ce sont les femmes et hommes intègres du Burkina Faso qui ont compris que leur avenir ne rimait plus avec Blaise Compaoré, ni avec tout ce qui lui ressemble. Il faut ne pas oublier que Blaise Compaoré disposait de réseaux tant dans la Françafrique que dans les milieux islamistes qui ne sont pas des adeptes de la démocratie populaire africaine. L’onde de choc du renversement de Blaise Compaoré devrait aussi montrer que les sociétés ésotériques notamment la Franc-maçonnerie des dirigeants africains, qui n’a rien à voir avec celle d’ailleurs, n’a pas contribué à améliorer le sort des peuples africains.
Je vous remercie.
Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur Afrocentricity Think Tank
7 novembre 2014
Mise en ligne sur afrocentricity.info le 12 novembre 2014
Notes:
- Source: World Bank (2014). Regional Economic Outlook. Sub-Saharan Africa October 2014. Washington D.C. ↩