Emission depuis les Etats-Unis, Moline (près de Chicago), Illinois
Samedi 20 juin 2015
Journaliste : Didier Kofi Anyage, Journaliste
Emission : Invité de l’Emission Afrique en Mouvement.
Internet : http://www.radiodegnigban.com/
Contact : info@radiodegnigban.com
Invité : Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste et Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence Afrocentricity Think Tank.
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
Thème : AFRIQUE : L’AIDE AU DEVELOPPEMENT EN QUESTION
Ecouter l’échange radiophonique et lire la contribution écrite :
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L’AIDE AU DEVELOPPEMENT EN QUESTION
Contribution de Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur Afrocentricity Think Tank, Economiste
20 juin 2015
KA : 1- Pouvez-vous clarifier le concept de l’aide au développement ?
Il faut distinguer entre les deux concepts qui sont en fait contradictoires : aide et développement et dire d’emblée que le développement réussi doit normalement mettre fin à l’aide. Mais que l’aide peut aussi empêcher le développement. On ne développe pas quelqu’un ou un pays… On se développe en s’appuyant sur des outils d’accélération et de modernisation du processus de création et de répartition équitable de la richesse créée.
L’aide introduit un rapport de force, une hiérarchisation dans les rôles et donc un contrôle de l’autodétermination et des choix de celui (ou celle) qui est aidé(e). L’aide c’est donner une assistance passagère, momentanée, un appui qui ne dure pas dans le temps voire un soutien agissant comme un effet de levier… mais cette approche positive de l’aide peut se retourner contre celui qui aidé du fait des objectifs non avoués de celui qui aide et transformer le volet « passager » en durable, voire définitif.
C’est ainsi que pour le Togo, l’aide publique au développement sans les volets sécuritaires et militaires, était de 221 millions de $EU en 2013, soit moins que les transferts d’argent de l’ensemble de la Diaspora togolaise réunie qui s’élevaient autour de 300 millions de $EU et l’investissement étranger direct avec 84 millions de $EU selon la Banque mondiale.
L’aide se répartit en au moins trois catégories : les dons avec 90 % (189 millions $EU), la coopération technique avec 10 % (31 millions $EU).
Les dons qui sont en fait de l’argent envoyé à l’Etat togolais du fait de la fongibilité du budget, ce qui permet de dire que l’aide publique au développement sert directement les intérêts du gouvernement togolais et moins ceux de la population togolaise et favorisant d’ailleurs le clientélisme.
Ainsi, chaque togolais est censé recevoir 32 $ d’APD par an. Mais je ne sais pas qui en a vu la couleur… ou l’odeur puisque l’argent n’a pas d’odeur.
Aussi, la notion ne peut se limiter aux droits humains, la démocratie, la bonne gouvernance mais doit aussi intégrer la création de richesses, les problèmes de répartition des fruits de cette richesse et donc les inégalités créées (les jeunes, les femmes par exemple sont les plus marginalisés… les zones rurales par rapport aux zones urbaines, etc.) Puis il y a tout le problème de la pérennisation du développement où lorsque l’on fait des arbitrages et des choix de développement et de création de richesse, il faut s’assurer d’utiliser au maximum les intrants locaux mais aussi d’assurer leur régénération dans le temps. C’est donc toute la problématique du développement durable et de la préservation de l’écosystème et de l’environnement. Il faut donc aussi investir pour sauver la partie de la planète que chacun exploite et les pollueurs du Nord du fait d’une industrialisation non régulée ne peuvent demander à des pays du sud ou émergents de stopper leur développement et opter pour une production propre. Autrement dit, si vous disposez de mines de charbon et pas de pétrole, alors que le charbon pollue, faut-il stopper l’exploitation du charbon qui reste moins cher mais pollue beaucoup ? Certains pays comme la Chine ou la Pologne ont répondu qu’il fallait d’abord se développer et après on « verra »… Mais cette attitude peut ne pas être écologiquement responsable.
KA : 2- Comment et pourquoi est née l’idée de l’aide au développement ?
La notion d’aide au développement remonte à la période de la fin de la 2e guerre mondiale (1945). Lorsque les pays européens bénéficiaient du Plan Marshall pour stopper l’avancée du « communisme/socialisme » promu par l’Union soviétique, l’Afrique n’a pas été jugée dangereuse en termes de capacité de nuisance pour en bénéficier. Donc en palliatif, il fallait trouver un produit de remplacement.
Dès les années d’indépendances en 1960 et avec le mouvement des non-alignés de Bandoeng en 1955, il fallait créer le désordre et la division. Aussi, dans le cadre de la décolonisation, 1 % de la part du Produit intérieur brut des pays riches occidentaux devait être consacré pour influencer les nouveaux dirigeants africains à rester dans le giron occidental, bien sûr chacun dans sa zone d’influence. La France a donc largement bénéficié de la zone franc. En fait, il fut question de répartir l’offre d’APD des pays du Nord vers les pays du Sud comme suit : 70% de fonds publics et de 30% de fonds privés. C’est ce schéma qui a été validé par les Nations Unies. Les donateurs publics (des Etats) doivent verser 0,7% de leur revenu pour l’APD alors que le secteur privé devait « investir » une somme équivalente à 0,3 % de l’APD.
Cette logique d’influence géographique s’est heurtée à la guerre d’Algérie, l’autonomie des Tunisiens, etc. mais avec le contrôle monétaire par le signe monétaire qu’est le Franc CFA et des coups d’Etats ayant supprimé les principaux nationalistes africains (Sylvanus Olympio/Togo, Patrice Lumumba/Congo, Kwame Nkrumah/Ghana, etc.), il était facile alors de faire reposer l’influence géopolitique sur la dépendance financière avec l’aide publique au développement (APD) avec 0,7 % du PIB des pays riches occidentaux. Le problème est que les grandes annonces d’amélioration de la santé, de l’éducation, des infrastructures qui devaient faire l’objet d’un financement par l’APD ont accouché d’une souris. Beaucoup de l’APD est parti dans la sécurité et même dans la défense notamment l’armement des milices présidentielles des chefs d’Etat africains. A ce titre, l’APD de la France en 2014 ne représente plus que 0,37 % du PIB français et serait en baisse (Guidal et Baumel, 2015 : p. 114) .
L’autre problème est que l’APD devait servir plusieurs acteurs notamment avec la montée des organisations non gouvernementales (ONG), parfois créées de toutes pièces pour remplacer les initiatives africaines et même se substituer aux Africains. C’est d’ailleurs cela qui explique que ces ONG évitent soigneusement d’utiliser la Diaspora Africaine qui pourrait à terme les remplacer sur le terrain, réduisant d’ailleurs ainsi les pressions migratoires. Mais l’immigration choisie permet de garder les meilleurs médecins noirs en Occident et de priver les populations des soins les plus élémentaires. C’est ainsi que l’APD peut servir tout autant pour l’humanitaire que pour des partenariats publics-privés, des investissements directs à l’étranger (IDE), l’économie de la migration et des migrants et même comme des béquilles pour les nouveaux instruments financiers ou de marché pour couvrir ou garantir des risques.
Avec la montée des milliardaires dans le monde et donc de l’aide privée mais aussi des transferts d’argent de la Diaspora africaine, l’APD se retrouve classée comme priorité seconde dans les budgets des Etats africains. Le problème est que l’investissement étranger direct a pris de l’essor entre 1980 et 1990 juste au moment où les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) lançaient avec beaucoup de volonté de nuisance, leur plan d’ajustement structurel. Aussi, avec les programmes de privatisations, des pans entiers des capacités productives africaines sont passées dans les mains des puissances étrangères avec la complicité des élites africaines. Ces derniers ont choisi la facilité en refusant l’industrialisation et en préférant toucher des dividendes de ces sociétés qui ont acheté à vil prix dans le cadre de la privatisation des ressources africaines. Rappelons que le secteur privé international comme local n’a pas pour objet de servir les populations mais leurs intérêts. Les biens publics ont été laminés en Afrique. La santé, l’éducation, les statistiques et même l’infrastructure, la communication, l’énergie et la liberté d’expression ont été sacrifiés sans que l’aide au développement n’ait servi à corriger le tir.
L’APD au développement est tombée à 2 % du PIB dans les années 2000. C’est face à cela et l’impossible « remontée » que de nouveaux instruments de financement innovants sont apparus comme la taxe sur les billets d’avion ou le développement du partenariats public-privé, voire même l’utilisation de l’Afrique comme terrain d’expérimentation pour les multinationales de la santé notamment pour les tests grandeurs nature avec des médicaments et autres vaccins… Les réponses à l’hécatombe de Marburg-Ebola en Afrique devront être recherchées de ce côté. Mais ce qu’il faut retenir est que l’Aide au développement a été utilisée :
- d’abord pour se prémunir contre le communisme, puis contre tous les fléaux réels ou imaginaires de l’Occident dont l’immigration, et
- aujourd’hui le terrorisme islamique ou pas ; puis pour influencer et défendre les intérêts occidentaux.
Faut-il encore parler d’aide ? De nombreux dirigeants africains le savent et en jouent pour se maintenir au pouvoir en s’assurant que l’aide au développement serve principalement d’abord à financer directement ou indirectement leur sécurité rapprochée et plus largement leur clientèle dans le pays afin de se maintenir au pouvoir. C’est ainsi que les vaccins, centres de santé et autres écoles se retrouvent dans les zones où le clientélisme actif du pouvoir sévit.
KA: 3- A qui profite réellement l’Aide au développement ?
L’aide au développement est devenue au fil du temps, un outil efficace pour influencer. Donc l’APD sert d’abord les intérêts de ceux qui la fournissent et qui en attendent un retour sur investissement. Le fait de mettre un certain nombre des dirigeants africains sous tutelle de l’endettement permet d’affecter l’aide vers le secteur privé du pays donateur qui a délocalisé en Afrique. Tout ceci ne met nullement en cause tout le travail de certaines organisations non gouvernementales mais il faut toujours s’interroger sur les finalités poursuivies surtout à moyen et long terme.
KA: 4- L’Afrique peut-elle un jour se passer de l’aide au développement ?
La réponse est clairement oui. Il suffit de devenir autosuffisant et de ne pas investir dans les guerres et les budgets militaires… Un pays comme le Costa Rica ou même l’Allemagne se porte mieux que d’autres car le budget de l’armée est minimal, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir un budget pour la sécurité des biens, du capital et des personnes.
KA: 5- Votre mot de fin.
Il faut que chaque membre de la Diaspora africaine, la Diaspora togolaise en particulier, ne rentre pas au pays d’origine sans revenir avec un savoir-faire, une technologie, un équipement et le mette en œuvre avec la formation pour transmettre une méthode de travail afin d’améliorer la productivité, réduire la pénibilité du travail et créer des richesses partagées. Plus les richesses augmentent et sont créées par un grand nombre d’acteurs, moins l’aide est nécessaire et en filigrane la dépendance disparaît. Encore faut-il que les dirigeants des pays africains soient le reflet de la vérité des urnes et des choix des populations.
En réalité, il faut que chacun soit conscient que l’on est passé du concept de l’aide au développement à celui de l’utilisation de l’aide publique au développement pour influencer, voire assurer un certain alignement qui n’est rien d’autre qu’une certaine servitude et une limitation de la souveraineté.
© Radio Degnigban & Afrocentricity.info
Emission du Samedi 20 juin 2015. 19 h. GMT