Congo-liberty :
Votre nouvel ouvrage s’intitule « l’Afrique condamnée à l’espoir ». Le continent noir a-t-il besoin d’espoir ou de se mettre au travail ?
Ibrahima Signaté :
Le continent noir a besoin d‘espoir, il a besoin de croire en lui-même. Mais, évidemment, cela passe, entre autres, par un travail acharné. Il est vrai que, sous ce rapport, le continent accuse un déficit patent. Il est impératif de le combler ; A cet égard, les pays émergents du Sud- Est asiatique nous donnent une belle leçon
Congo-liberty :
Les dernières années de l’ère coloniale étaient multipartites sur le plan politique. Comment expliquez-vous, que les indépendances censées libérer le colonisé y mirent un terme ?
Ibrahima Signaté :
C’est en effet un paradoxe que les indépendances aient sonné le glas des systèmes multipartites en vigueur pendant la période coloniale. Les dirigeants post-indépendance, au nom des « impératifs de la construction nationale » ont jugé utile, dans ce but, de regrouper, souvent de manière autoritaire, toutes les forces dites vives au sein de partis uniques. Un véritable embrigadement, qui s’est révélé totalement inefficace, et a fait le lit des pires dictatures. En réalité, c’est un goût effréné du pouvoir, et le refus de la moindre contestation, qui ont guidé les « Pères des indépendances ». Rien d’autre.
Congo-liberty :
Dans votre livre, vous parlez de la démocratie sans cesse recommencée. C’est le cas du Togo, du Congo… Quelle(s) en est (sont) la (les) cause(s) ?
Ibrahima Signaté :
Oui, la démocratie est une construction permanente. Pas seulement dans le cas des pays que vous citez, même si ces derniers constituent la parfaite illustration de la difficulté de l’entreprise Assurément, instaurer la démocratie n’a jamais été un long fleuve tranquille Voyez au terme de quels longs combats épiques, les pays d’Amérique latine ont pu enfin s’installer durablement dans la démocratie et le développement En Afrique, force est de reconnaître que nous n’en sommes pas encore là. Nos démocraties restent fragiles. Le moindre relâchement, et c’est le retour brutal à la case départ. L’exemple du Mali en témoigne. Après vingt années de démocratie, voilà que quelques troufions, jouant les apprentis sorciers, et totalement irresponsables, ont plongé leur pays en plein cauchemar. Au Sénégal, la démocratie a retrouvé des couleurs après la lourde défaite infligée à Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle. En effet, pendant les douze années de son magistère, la démocratie sénégalaise, tant vantée, était entrée dans une zone de tempête qui aurait pu déboucher sur le pire.
Congo-liberty :
Bien que certains pays sauvent l’honneur, la démocratie n’est-elle pas un luxe pour les Africains ?
Ibrahima Signaté :
La démocratie, loin d’être un luxe, est une nécessité absolue. Il ne faudrait surtout pas tomber dans le piège consistant à présenter la démocratie comme une invention diabolique de l’Occident. Ce sont, d’ailleurs, principalement, les dictateurs qui ont recours à ce genre d’arguties. La vérité est que la démocratie et son corollaire, le respect des droits de l’homme, sont des valeurs universelles. Cela étant, la démocratie ne saurait être la panacée. C’est un moyen de développer nos pays en libérant toutes les énergies. Il ne faut jamais oublier que la pauvreté est l’ennemie de la démocratie
Congo-liberty :
Enrichissement illicite, scandales financiers, corruption généralisée…on se croirait au pays de Sassou Nguesso, mais ce sont les mots avec lesquels vous décrivez les années au pouvoir du président Abdoulaye WADE. N’y allez-vous pas trop fort ?
Ibrahima Signaté :
Rassurez-vous, ma description de la corruption du régime Wade ne relève pas de l’exagération. Les audits en cours actuellement au Sénégal, à l’initiative du nouveau président Macky Sall, vont mettre à jour l’ampleur des détournements de fonds publics opérés par un régime prédateur, comme le Sénégal n’en a jamais connu. L’opinion nationale et internationale sera édifiée. Ce que l’on en sait pour le moment, est déjà de nature à donner le vertige
Congo-liberty :
Comment se fait-il que malgré la corruption généralisée, l’élite et les intellectuels sénégalais ont voté contre WADE.
Qu’est ce qui explique qu’ils sont si différents de la majorité des élites du Congo-Brazzaville, Gabon, Togo… dont l’intérêt individuel passe avant l’intérêt général ?
Ibrahima Signaté :
Au Sénégal, c’est surtout la clientèle politique du Parti démocratique sénégalais (PDS) de Wade, qui a bénéficié de l’enrichissement illicite. Les partis politiques les plus représentatifs de l’opposition, les jeunes, la société civile dynamique et combative, ont constitué des îlots de résistance actives Même les grandes confréries religieuses musulmanes ont, dans l’ensemble, su résister à l’attrait de l’argent facile. A l’exception de quelques hauts dignitaires, sans influence réelle, qui ont joué les brebis galeuses. C’est la conjugaison de tous ces facteurs qui ont rendu inéluctable la défaite de Wade, nonobstant les moyens colossaux mis en œuvre pour sa réélection
Chaque pays a ses réalités. Nul doute que les citoyens des pays que vous évoquez, sauront tôt ou tard, trouver les moyens de faire entendre raison aux dictateurs qui les oppriment. C’est dans la lutte que se forge la conscience politique.
Congo-liberty :
Après cinquante années d’indépendance des pays africains, vous déclarez « Nous ne pouvons plus nous soustraire à nos responsabilités, ni nous exonérer de nos insuffisances » . Quelles sont-elles ?
Ibrahima Signaté :
J’ai voulu dire par là, que le temps de la recherche à tout prix d’un bouc émissaire, de la victimisation outrancière était révolu. Le colonialisme et l’impérialisme ont vraiment bon dos, à entendre certains, Une telle attitude systématique est contre productive. Elle nous empêche de procéder à une saine autocritique. Le déficit de démocratie, le sous- développement persistant, la mauvaise gouvernance économique, les retards dans la constitution de regroupements politiques de nos états, tous ces handicaps que nous trainons depuis cinquante ans ne sauraient être de la seule responsabilité de l’Etranger. Nous y avons largement notre part.
Congo-liberty :
Les Etats généraux de l’opposition Sénégalaise du 1er juin 2008, inspirent plusieurs opposants africains. En quoi ceux-ci peuvent être un tremplin pour une opposition politique ?
Ibrahima Signaté :
Les Assises Nationales ont joué un rôle décisif dans la deuxième alternance survenue au Sénégal le 25 mars 2012. De quoi s’agit-il ? Ces Assises ont regroupé pendant des mois les représentants des partis d‘opposition, la Société civile, dont de hauts cadres de l’armée à la retraite (notamment trois anciens chefs d’Etat major), des groupes religieux musulmans et chrétiens, des mouvements de jeunes et de femmes. Il est revenu à Ahmadou Mahtar M’Bow, ancien directeur général de l’Unesco, et figure emblématique, de présider les travaux. Au terme de ces derniers, qui se sont déroulés autour de huit commissions thématiques, une « Charte de bonne gouvernance », véritable programme de gouvernement, avait été adoptée. Pour l’essentiel, c’est cette charte qui inspire aujourd’hui le nouveau pouvoir sénégalais. Alors, bien sûr, l’exemple sénégalais peut donner des idées à certaines oppositions sur le continent. En veillant toutefois à ne pas reproduire, forcément, tel quel, le schéma sénégalais. En procédant toujours « à l’étude concrète de la situation concrète »
Congo-liberty :
Vous exhortez les africains à exploiter habilement la rivalité entre la Chinafrique et la Françafrique , pour en tirer tous les avantages. N’est-ce pas du cynisme ?
Ibrahima Signaté :
J’exhorte les pays africains à exploiter, à leur profit, les rivalités entre la Chine et les pays occidentaux. Ce n’est pas du cynisme, mais du réalisme. Je ne vois pas au nom de quoi, on nous interdirait des pratiques qui sont monnaie courante dans les relations internationales. Nous n’allons quand même pas être les éternels dindons de la farce ! Il est bien connu que « les grands pays n’ont pas d’amis permanents, mais des intérêts permanents ». Dans mon livre, j’ai parlé du « neutralisme positif », qui était la philosophie des pays non alignés, au temps de la conférence de Bandoeng en 1955. Il s’agissait de se tenir à égale distance des pays capitalistes et du bloc communiste, pour privilégier ses propres intérêts. Il faut réinventer ce concept à la lumière du monde actuel.
Congo-liberty :
L’unité africaine pour la jeunesse africaine n’est qu’un slogan creux. N’est-ce pas un projet irréaliste, et un refuge d’intellectuels, mais surtout de gouvernants incapables de répondre aux aspirations primaires de leurs peuples ?
Ibrahima Signaté :
Absolument pas ! Sans unité, point de salut pour l’Afrique, il faut le savoir. C’est le contenu de cette unité qui doit retenir l’attention. Une unité du Cap au Caire, hic et nunc, ne serait qu’une vue de l’esprit, un slogan creux. Mais si l’on envisage l’unité africaine sur la base de Fédérations régionales d‘Etats politiquement structurées, et culturellement cohérentes, c’est jouable à terme. Le tout est d‘avoir le sens des étapes, et ne pas sacrifier aux tirades grandiloquentes sans lendemain Nos pays, pris individuellement, sont trop fragiles pour résister à l’inéluctable mondialisation. D’ailleurs, pour s’en tenir à l’Afrique dite francophone, pendant la période coloniale, il existait deux grandes fédérations, celle de l’Afrique occidentale française (AOF), dont la capitale était Dakar, et l’Afrique équatoriale française (AEF), dont la capitale était Brazzaville. A l’indépendance, ces entités ont volé en éclats pour notre plus grand malheur. Par la volonté de la puissance coloniale, qui a ainsi divisé pour continuer à mieux régner, avec la complicité active des présidents Houphouët- Boigny de la Côte d’Ivoire et Léon Mba du Gabon, viscéralement opposés à toute idée de fédéralisme.
Réaliser l’unité africaine sur des bases réalistes, et selon des critères fondées sur la démocratie et la bonne gouvernance, voilà le défi majeur que doivent relever les nouvelles générations.
Congo-liberty :
L’élection de François Hollande à la présidence Fraçaise a déclenchée un enthousiasme certain chez les africains, qui fantasment déjà sur la fin de la Françafrique. Qu’en pensez-vous, et qu’est- ce que l’Afrique peut attendre de ce changement à l’Élysée ?
Ibrahima Signaté :
Si, de mon point de vue, il faut se réjouir de l’élection de François Hollande, il faut aussi se garder de toute naïveté. Les africains ont souvent la fâcheuse tendance à s’en remettre à d’autres pour la solution de leurs problèmes. En son temps l’élection d’Obama avait soulevé des espoirs insensés. Dans l’ensemble, il n’a pas déçu en accompagnant le mouvement démocratique en Afrique. Mais, il ne faut pas lui demander de venir renverser les dictatures sur le continent. C’est d’abord l’affaire des citoyens africains qui doivent être prêts à payer le prix pour obtenir ce résultat.
Dans le cas de la France, le moins que l’on puisse attendre de Hollande, c’est de mettre fin, pour de bon, aux fameux réseaux quasi mafieux, qui ont longtemps pollué les rapports franco-africains. Il faut que l’Afrique soit traitée avec respect par Paris, comme n’importe quelle autre partie du monde. Qu’on en finisse avec ce paternalisme et cette connivence de mauvais aloi, qui finissent par engendrer une promiscuité insupportable. Dans cette perspective, on est en droit d’attendre, rapidement, un signal fort de la nouvelle administration française. Pour savoir si « le changement c’est maintenant », ou s’il est reporté aux calendes mandingues !
Interview réalisée le 31 mai 2012, par Mingwa mia Biango pour www.congo-liberty.com
Ibrahima Signaté en quelques mots
Journaliste sénégalais résidant en France, a récemment publié aux éditions l’Harmattan (Paris) un livre intitulé ‘’l’Afrique condamnée à l’espoir’’
Jeune journaliste, il multiplie les reportages notamment avec un séjour sur le terrain d’opération juste à la fin de la guerre du Biafra, sa rencontre avec Bokassa qui ‘’envisagea un moment de le mettre en prison’’ parce que l’auteur écrit avoir posé au président centrafricain des ‘’questions irrévérencieuses (…) mais pas insolentes’’ et ses entretiens avec Amilcar Cabral pour qui il a une grande admiration.
Ibrahima Signaté quitte Jeune Afrique en 1971 à la suite d’une grève. Ce départ est pour lui une ‘’déchirure’’. A l’origine des problèmes, la création de sections syndicales dont il est parmi les responsables. Il fut aussi le créateur d’Afrique Tribune, et Directeur de la communication du Sénégal, avant d’être nommé Directeur du bureau d’information du Sénégal en France. Il a aussi été Directeur de la rédaction du magazine Afrique-Asie de 1989 à 1996.
Ibrahima Signaté est l’auteur de plusieurs ouvrages et publications dont celui que nous vous recommandons :