RADIO KANAL K
Questions de Sylvain Amos, Journaliste à Kanal K. Suisse.
Interview avec :
Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Coordonnateur du CVU-TOGO-DIASPORA, Consultant International.
E : yeamaizo@cvu-togo-diaspora.org
18 février 2017
www.cvu-togo-diaspora.org
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Sujet : LA GOUVERNANCE DU DILATOIRE AU TOGO : COMMENT FAIRE OUBLIER L’ACCORD POLITIQUE GLOBAL (APG):
Le Pouvoir togolais refuse de mettre en œuvre l’Accord politique global signé à Lomé en 2006. 11 ans après, la gouvernance du dilatoire a conduit à ce que les principales réformes politiques prescrites par l’APG sont systématiquement retardées par des préalables interminables. Qu’il s’agisse de la limitation du mandat, du mode de scrutin, de la question du contentieux autour du code électoral, bref des moyens d’assurer une vérité des urnes au Togo, rien n’a bougé.
Les formations politiques et les représentants des confessions religieuses ne sont pas neutres dans cette histoire. Au demeurant, le statu quo semble les avantager, puisqu’apparemment, ce statu quo semble servir autant de monnaie d’échange que chantage à double face. En onze ans, la force militaire brute du Togo, la couardise des représentants religieux, et la distribution ciblée de l’argent cash témoignent de la capacité du pouvoir en place comme de la dite opposition compromise, à faire du bougisme. Tout bouge pour faire du surplace. Mais rien ne change.
Alors, bien sûr, il suffit maintenant d’affirmer par une commission étrangère payée par le pouvoir en place que l’APG est « vintage » pour la déclarer caduque. Est-ce la fin ? Pas du tout ! Un nouveau contenu permettant de renforcer l’autocratie, la déresponsabilisation de certains opposants aveuglés par l’argent devrait émerger avec un consensus général de ceux qui tiennent tous par la barbichette. Alors le peuple dans tout ceci ? Avec une grand majorité qui ne comprend pas ce qui arrive et une partie qui profite de ce qui arrive, le Togo ne pourra se réveiller qu’à l’aune d’une prise de conscience populaire collective y compris avec la Diaspora. Mais la réalité est que les forces anti-républicaines militaires qui gangrènent l’armée togolaise devraient pouvoir être purgées. Comment ? Nul ne sait sauf Dieu !
Les nombreuses et secrètes compromissions de certains membres de la dite opposition politique, de la société civile, des ecclésiastiques et tous bords et des journalistes, plus intéressées par des intérêts personnels, souvent alimentaires, ne peuvent passer par « pertes et profits ».
Dr Yves Ekoué AMAÏZO
Coordonnateur CVU-TOGO-DIASPORA.
18 février 2017
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QUESTIONS DE KANAL K
Kanal K. Question 1 : Dans un communiqué publié lundi, l’État togolais a promis d’indemniser à hauteur de 2 milliards de francs CFA (environ 3 millions d’euros) les victimes des « tristes événements violents » qui ont secoué le Togo entre « 1958 et 2005 ». Selon vous, le dédommagement des victimes va-t-il contribuer à une vraie réconciliation au Togo?
Dr Yves Ekoué Amaïzo (YEA) : Tout d’abord, je remercie Kanal K pour l’invitation. Je vais répondre à votre question. Mais il y a deux problèmes dans votre question. La date et le dédommagement. La période choisie entre 1958 et 2005 exclut les crimes et autres exactions et impunités imputées à Faure Gnassingbé. Autrement dit, Faure Gnassingbé n’aurait rien fait. Le mot dédommagement signifie un « Avantage matériel ou moral accordé par le Pouvoir en place au Togo à aux ayant-droits togolais ayant faire l’objet de crimes et autres exactions du fait du pouvoir politique togolais. En guise de réparation des dommages causés, le pouvoir propose une forme d’indemnité, de compensation et de consolation. A supposé d’ailleurs que le montant soit substantiel et payé, je ne vois pas comment l’argent pourra remplacer les morts, les blessés, les handicapés, les humiliations divers et variés, les expropriations abusives de terrain et maisons, les pertes d’emplois, les exclusions de la vie politique, sociale et communautaire au Togo, l’exil pour certains dans la Diaspora, le silence forcée des médias, les journalistes tabassés pour avoir fait leur métier, etc. Aussi,le dédommagement, s’il a lieu et s’il est effectif, des victimes identifiés car tous ne sont pas identifiés, ne va certainement pas contribuer à une réconciliation en profondeur au Togo. Il faudra s’attendre à des retours puisque le principe du « solde de tous comptes » ne peut servir d’alibi pour justifier l’impunité du régime militaro-civil de Faure Gnassingbé.
Kanal K. Question 2 : Peut-on voir dans cette décision de dédommagement, une volonté de finir avec la violation des droits de l’homme et les exactions sans cesse commises sur le peuple togolais ?
YEA. Certainement pas. Ce régime est passé expert dans la gouvernance du dilatoire et de l’affichage. Les violations des droits humains et les abus de pouvoir sont l’objet d’un régime autocratique fondant sa légitimité sur la force militaire brutale. Alors comment voulez-vous que ce régime n’utile pas son arme favorite, la violence et le non-respect de la vérité des urnes dès lors qu’il voit sa fin s’approcher. Donc le dédommagement sert plus à attirer les Togolais et Togolaises qui ont choisi de se compromettre avec ce régime ou alors qui sont dans un état de pauvreté tel que l’argent facile peut les acheter aisément. Par ailleurs, croire qu’il s’agit de l’argent du Peuple comme on l’entend ici et là, relève d’un abus de langage et d’une méconnaissance des comptes publics et de l’économie. Il s’agit plus d’un achat de conscience organisé.
Kanal K. Question 3. La présidente Awa Nana Daboya et ses collaborations du HCRCUN ont entamé une mission d’échanges avec les acteurs politiques dans le cadre de la mission qui leurs a été assignée par Faure Gnassingbé. Selon le parti d’opposition Alliance Nationale pour le Changement (ANC), l’Accord politique global (APG) reste toujours d’actualité. Qu’en dites-vous?
YEA. L’Accord politique global signé à Lomé en 2006, il y a plus de 11 ans n’a pas été mise en œuvre au-delà de 10 %. Cet accord propose des réformes importantes comme la limitation du mandat, du mode de scrutin, de la question du contentieux autour du code électoral. En réalité, il s’agit de trouver les moyens d’assurer une vérité des urnes au Togo.
Faure Gnassingbé a choisi l’approche de la gouvernance du dilatoire pour que les principales réformes politiques prescrites par l’APG soient systématiquement retardées par des préalables interminables. Mais si les partis dites d’opposition avaient une unité d’action, et avaient contestés officiellement et juridiquement la contrevérité des urnes lors des élections présidentielles et législatives passées au Togo, ils ne seraient pas obligés d’accepter le calendrier de Faure Gnassingbé. Mais, les contestations de façade ne trompent pas les Togolais en général, ceux de la Diaspora en particulier. S’il est vrai que l’APG reste d’actualité, il faut se demander si insister sur sa mise en œuvre alors que Faure Gnassingbé ne respecte ni sa signature, ni sa parole, alors est-ce que certains en profitent pour obtenir un avantage pécuniaire discrètement. Quant à la Présidente du Haut-commissariat à la réconciliation nationale (HCRUN), ses discours sur le renforcement de la cohésion nationale et les réformes sans une adhésion des Togolais sonnent comme un renouvellement de l’hypocrisie générale au Togo, une sorte d’esprit d’amnésie qui empêche de voir la réalité des faits. Elle se garde bien de chercher la cause de tout ce problème au Togo, cause qui se trouve dans l’acceptation de la contre-vérité des urnes au Togo et la construction de l’État de droit selon la pensée Gnassingbé.
Kanal K. Question 4 : Selon vous, doit-on tourner la page de l’ACCORD POLITIQUE GLOBAL?
YEA. NON. Si cet APG de 2006 est remis en cause, rien n’empêche Faure Gnassingbé de proposer unilatéralement un nouvel accord qui avalisera l’autocratie et soldera l’ensemble des droits et obligations qui incombaient au pouvoir de Faure Gnassingbé dans cet accord. Donc, l’unité d’actions au-delà des partis politiques nécessitent de trouver une plateforme de soutien à une alternative nouvelle au Togo. Car si cette alternative doit reposer sur les partis politiques, les clivages existants risquent de se reproduire. Peut-être que cette plateforme devrait être porté par des personnalités consensuelles acceptées d’un commun accord par les partis politiques représentatifs, mais aussi les organisations de la société civile y compris ceux de la Diaspora.
Kanal K. Question 5 : Le HCRRUN veut s’inspirer du cas rwandais en matière de réconciliation et de réformes politiques et institutionnelles. Que vous inspire cette démarche du HCRRUN?
YEA. Ce n’est pas le Haut-commissariat à la réconciliation nationale (HCRUN) qui veut s’inspirer du Rwanda mais Faure Gnassingbé. Avec la poursuite à de la gouvernance du dilatoire, il est question après avoir réuni des experts togolais, de réunir des experts internationaux venant ou pas du Rwanda, pour ensuite faire avaliser un nouvel accord tout en rendant caduque l’Accord Politique Global (APG) de 2006. Il n’y a pas de réconciliation sur la base d’élections basées sur la contre-vérité des urnes, ni sur des compromissions stratégiques avec le régime de Faure Gnassingbé.
Kanal K. Question 6 : Le Rwanda avait connu un génocide suivi d’une crise socio politique. Ce qui n’est pas le cas au Togo. Certains analystes politiques doutent déjà de cette démarche du HCRRUN et estiment plutôt que le pouvoir cacherait quelque chose dans cette démarche. Quel est votre lecture ?
YEA. Bien sûr que le pouvoir ne peut que cacher ses intentions. Avec une gouvernance du dilatoire, à quoi voulez-vous vous attendre ? À la vérité ? Alors pourquoi les partis togolais et une grande partie des citoyens togolais croient que Faure Gnassingbé veut appliquer l’APG.
Mais si chacun sait que Faure Gnassingbé n’a pas honoré sa signature depuis 11 ans, et qu’il ne le fera vraisemblablement pas dans le futur, il faut s’interroger sur l’intérêt qu’il y a pour certains partis politiques dites de l’opposition comme ceux soutenant Faure Gnassingbé de faire semblant de procéder à des consultations afin :
- au pire, de mettre fin à ce fameux accord APG sur la base d’une affirmation unilatérale d’obsolescence ; ou
- au mieux, accepter de mettre en œuvre l’APG mais selon le calendrier d’un escargot, tout en assurant que ceux qui insistent sur la mise en œuvre continuent à ne pas avoir faim.
Kanal K. Question 7 : Que faire pour que les acteurs parviennent, de façon consensuelle à opérer les réformes politiques au Togo?
YEA. Il faut bien sûr une unité d’actions. Mais vous le savez, pour obtenir l’unité des acteurs qu’ils soient au Togo ou dans la Diaspora, c’est une autre paire de manche. Donc il faut tenter de faire prendre conscience au citoyen togolais, que ne rien faire, ne fait qu’empirer la situation et conserver Faure Gnassingbé et son système au pouvoir.
Mais faire quelque chose sans prendre en considération ce que souhaite réellement le peuple togolais n’est pas une solution. La preuve est que la plupart des partis politiques togolais peinent à recruter au-delà de leurs propres sympathisants. Il y a ce que j’appelle le syndrome de Tarzan ou du sauveur dans la « pensée togolaise ». Ce sentiment que c’est l’autre qui fera le boulot de la libération est une erreur fondamentale qui empêche la culture de la lutte d’émerger. Il n’y a jamais eu de Tarzan en Afrique, celui-là qui connaît mieux la jungle, parlent aux animaux qui lui répondent d’ailleurs. Alors que les Africains eux-mêmes en sont incapables… C’est un mythe des Occidentaux colonialistes pour mieux nous dominer.
Mais il n’y a pas non plus de sauveur car la plupart des grandes personnalités africaines éthiques sont dans les cimetières. Aussi, il faut identifier les traitres, et s’organiser petit-à-petit, sur la base d’une compétence reconnue et avec beaucoup d’humilité, pour proposer un programme au service des populations et ensuite le partager avec elles. Ce programme doit nécessairement être fondé sur l’augmentation des richesses et une redistribution des fruits de la croissance sans que cela ne dénature la nature. Mais cela prend du temps.
Kanal K. Question 7 : Mais que faire pour que les acteurs de la Diaspora comme au Togo retrouve l’unité d’actions?
Il faut prendre conscience qu’il va falloir affaiblir la force militaire non républicaine au Togo. Surtout que ces militaires pourraient ne pas partager ce sentiment et continuer à faire usage de leur système d’abus de la force. Donc il faut mettre en valeur des compétences des Togolais afin que les équipes choisies ici et là fassent respirer l’air de la crédibilité. C’est cette crédibilité qui permettra d’avoir l’appui à l’extérieur du Togo. Après tout, sans les 7 000 soldats de la force de la CEDEAO et donc de la volonté en premier lieu du Président du Nigeria, Muhammadu Buhari, de faire respecter la vérité des urnes, rien ne serait arrivé en Gambie.
Peut-être est-ce les premiers effets de la Présidence américaine de Mr Donald Trump qui semble opter pour la compétence en affaires et moins les autocrates mauvais gestionnaires en Afrique.
Aussi, c’est la prise de conscience individuelle de chaque togolais et togolaise, doublée d’une volonté de ne plus s’accommoder de ce qui n’est pas acceptable tant aux plans des droits humains, de l’éthique que de la gouvernance économique et culturelle que le sursaut de la vérité des urnes deviendra une réalité. Le citoyen togolais doit cesser d’accepter de s’accommoder de ce qui sent mauvais. Ce qui sent mauvais doit être nettoyé par tous ceux qui estiment que l’odeur est insupportable.
Donc, le ras-le-bol des Togolais et Togolaises doit pouvoir émerger dans les urnes tôt ou tard. Ce mouvement est cyclique. Aussi, le seul fait que le Togo a le dernier autocrate de la sous-région est un signe d’espérance car son tour ne doit plus être très loin dans le cycle immuable de la liberté des peuples et du rejet des autocrates africains. IL est possible que Faure Gnassingbé, celui qui dirige le Togo avec l’appui des forces militaires, réponde « qu’il ne voit pas de rapport » avec sa démission et l’amélioration du bien-être des Togolais et Togolaises. Je vous remercie. YEA
18 février 2017
Dr Yves Ekoué AMAÏZO.
© Coordonnateur CVU-TOGO-DIASPORA.