EMISSION LA VOIX DE L’ALLEMAGNE – DEUTSCHE WELLE
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Jeudi 16 avril 2015
- Journaliste : Claire-Marie Kostmann (CMK), Journaliste.
Emission : Rubrique invitée de la semaine (9h20).
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- Invité : Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Economiste-Consultant et Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence Afrocentricity Think Tank.
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Thème : FMI ET BANQUE MONDIALE. REUNION DE PRINTEMPS DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS A WASHINGTON. 17 AU 19 AVRIL, QUEL BILAN DU PASSÉ ?
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1. CMK : Le FMI est-il toujours utile aujourd’hui ?
YEA. La réponse est clairement oui. Sauf qu’il faut préciser deux points : utile pour qui et dans quel domaines ? Si cette institution rend un grand service en fournissant les statistiques mondiales et les bilans des politiques économiques des pays dans le monde, il faut bien reconnaître que lorsqu’il s’agit de prodiguer des conseils et faire des pronostics, le bilan est plus mitigé. En effet, à force d’opter pour une sorte d’uniformisation de la pensée économique libérale, les stratégies de sortie de crise pour un pays ne peuvent découler du même moule. Alors, oui, le FMI est toujours utile, encore faut-il bien savoir utiliser ses services aux services des populations.
2. CMK : Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont-ils toujours décriés aujourd’hui en Afrique ?
YEA. Avec le remède de cheval qui a été administré à la Grèce par le FMI et l’Union européenne ces deux dernières années, il faut croire qu’il vaut mieux avoir une bonne gouvernance et d’éviter de recourir aux services financiers de ces institutions. Cela permet d’éviter d’entrer dans la spirale infernale des conditionnalités draconiennes des institutions de Bretton-Woods, et en dernier ressort, des membres les plus puissants et influents de leurs conseils d’administration.
De nombreux pays africains ont retrouvé depuis plus de 13 ans, une croissance économique soutenue autour de 5 % en moyenne. A ce titre, on ne le dit pas assez, l’Afrique est le deuxième continent qui soutient la croissance économique mondiale après l’Asie du sud-est. Cette nouvelle marge de manœuvre africaine a permis d’éviter de retomber dans une gestion macroéconomique irresponsable doublée d’une corruption endémique, ce qui automatiquement augmentaient les déficits budgétaires et contraignaient à une dépendance envers ces institutions de Washington. Aujourd’hui, cette marge de manœuvre économique permet à certains Etats africains qui ont retrouvé leur crédibilité sur le marché global du financement de pouvoir emprunter directement sur le marché mondial de la finance et auprès de créanciers diversifiés sans nécessairement passer par le FMI et la Banque mondiale. Aussi, la plupart des pays africains ont appris à ne s’endetter que faiblement auprès du FMI et de la Banque mondiale. Les dirigeants africains préfèrent diversifier leurs sources de financement en optant de plus en plus pour la recherche de financement directement sur les marchés financiers. Mais ceux-ci choisissent aussi de mettre plus l’accent sur les facilités proposées par les institutions africaines (continentales comme la BAD ou sous-régionales, les banques de développement) et les institutions de financement d’Asie qui n’ont pas de conditionnalités de type droit humains ou démocratisation. Ce qui d’ailleurs pose d’autres problèmes.
3. CMK : A l’occasion de la Réunion de printemps du 17 au 19 avril, quel bilan peut-on faire des deux institutions financières de Washington à savoir le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ?
YEA. Le bilan est mitigé car la création d’emplois ne s’améliore pas et que la croissance économique ne permet pas encore l’industrialisation. En réalité au cours des 4 dernières décennies, le FMI et le Groupe de la Banque mondiale ont été systématiquement contre l’industrialisation de l’Afrique. Mais ce qu’il faut constater est que ces deux institutions :
1. n’ont plus le monopole de la pensée unique en économie de développement ;
2. Ne peuvent plus fournir des preuves tangibles sur l’efficacité des stratégies d’économie de développement qu’elles ont prodiguées en Afrique pendant des décennies ;
3. n’arrivent plus à convaincre de continuer à travailler exclusivement avec elles car les dirigeants africains vont chercher des alternatives en Asie et dans les pays émergents notamment en élargissant et diversifiant l’offre en matière de financement du développement, de commerce entre pays en développement et de la promotion des échanges par la compensation et le troc.
Voici néanmoins les principaux thèmes de cette réunion de printemps des institutions de Bretton-Woods que j’ai pu identifier concernant l’Afrique et qui portent sur des approches multidisciplinaires :
- La réduction de l’extrême pauvreté à l’horizon 2035 ;
- Une refondation de la macroéconomie avec en filigrane les politiques réussies en Asie ;
- l’intégration de l’Afrique dans les chaînes de valeur mondiales ;
- la chute des cours des produits de base notamment les conséquences sur les marchés émergents et en filigrane l’impact sur la croissance mondiale ; et
- des propositions alternatives pour sortir des situations de fragilité (notamment sécuritaire, sanitaire, alimentaire, environnementale, et l’accès au financement par la téléphonie, etc.).
3. CMK : Quel est le reproche principal qu’il faut faire à ces deux institutions de Bretton-Woods ?
YEA : Le Président de la Banque mondiale s’est fixée en 2013 comme objectif d’éradiquer l’extrême pauvreté en une génération, soit 25 ans. Le FMI a pour objet principalement d’aider les pays en difficulté budgétaire à passer un cap difficile et à réajuster leur stratégie économique pour limiter l’endettement. Pourtant si l’on regarde les chiffres, ni le FMI, ni la Banque mondiale n’ont été capables au cours des quatre dernières décennies, -soit 40 ans- de modifier le fossé croissant des inégalités dans le monde, en Afrique en particulier. Il suffit de rappeler qu’en moyenne entre 52 % de la richesse nationale dans les pays africains sont aux mains des 20 % de la population la plus riche (Afrique du sud et Seychelles avec 70 % sont des records) alors que les 20 % des populations les plus pauvres ne partagent que 5 % des richesses nationales (2% en l’Afrique du sud et 4 % aux Seychelles).
Un bon bilan aurait été de voir l’écart entre les riches et les pauvres diminuer en termes de pouvoir d’achat. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Bien sûr, ces deux institutions ne sont pas les seuls responsables de cette situation. Ces deux institutions ont été incapables de focaliser l’attention sur l’essentiel, à savoir la création de richesses et d’emplois décents, l’industrialisation et la réduction des inégalités avec comme objectif l’augmentation graduelle du pouvoir d’achat du plus grand nombre. Le choix unilatéral du dogmatisme libéral a empêché ces institutions de respecter une certaine neutralité dans les choix économiques. Par exemple, au lieu de structurer l’interventionnisme de l’Etat africain pour l’orienter vers la régulation, ces institutions ont, -souvent volontairement ou involontairement-, préféré affaiblir l’Etat africain avec les résultats peu glorieux sur le plan de la santé, de l’infrastructure, de l’entrepreneuriat. Même le soutien au développement du secteur privé s’est limité au commerce asymétrique pour satisfaire d’abord les marchés occidentaux et moins l’économie de proximité et l’industrialisation. Bien sûr, les coupes budgétaires sans discernement liées aux ex-programmes d’ajustement conjoncturels à répétition de ces institutions sont partiellement responsables de l’état de délabrement dans lequel se trouvent les hôpitaux en Afrique… Mais tout ceci est en train de changer en Afrique sans que les résultats ne soient à mettre au crédit de ces deux institutions. En effet, l’interventionnisme de l’Etat grâce à l’apport des pays émergents et plus particulièrement la Chine est un facteur déterminant de la meilleure utilisation des recettes africaines tirées des matières premières exportées sans transformation.
4. CMK : Quel est le poids de ces deux institutions de Bretton-Woods ?
YEA. C’est une question difficile. Au plan financier, l’apport de ces institutions est la suivante à partir des chiffres officiels de 2013 (extrait du rapport sur les indicateurs du développement de la Banque mondiale de 2014).
Précisons d’abord que l’Afrique subsaharienne a reçu: 8 173,5 millions de $ US en financement bilatéral contre 7 674,9 millions de $US en financement multilatéral. En réalité, sans une « non-objection » du Fonds monétaire international sur le programme économique de nombreux pays en Afrique, il est quasiment impossible pour les pays africains d’accéder au financement bilatéral et multilatéral car la plupart des institutions prêteuses s’inscrivent dans la lignée d’une économie libérale occidentale et s’alignent, parfois sans discernement, sur les stratégies macroéconomiques du FMI. Cet alignement de principe est non-écrit et demeure fondamentalement anti-démocratique compte tenu des rapports de force au sein des conseils d’administration de ces institutions.
Pour bien comprendre, il faut distinguer d’une part, entre les prêts concessionnels délivrés par l’Association internationale de développement (fondée en 1960) de la BM et d’autre part, entre les prêts non concessionnels (taux faibles) délivrés par la Banque internationale pour la reconstruction et le développement de la Banque mondiale (fondée en 1944) (taux proche du marché). La société financière internationale, le bras de la BM en charge du secteur privé délivre des taux du marché et n’est pas pris en compte ici, ni d’ailleurs les opérations de garantie de l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA), un autre membre du Groupe de la Banque mondiale.
Rappelons que les financements concessionnels sont systématiquement octroyés avec la garantie des Etats. Ce qui fait que lorsque l’Etat est défaillant, volontairement (corruption et mauvaise gouvernance) ou involontairement (modification des prix des matières premières ou conséquences des crises financières, ponction sur les richesses nationales via le Franc CFA pour les pays francophones, etc.), la dette des pays africains augmente au même rythme que sa dépendance économique envers le FMI (et donc des membres puissants du conseil d’administration) alors qu’en contrepartie la marge de manœuvre économique des dirigeants africains s’évapore.
En analysant quelques statistiques de 2013, on s’aperçoit que le FMI (financement concessionnel et non-concessionnel) n’a pas un poids considérable en termes de montant alloué (voir tableau suivant). Donc, c’est bien son poids politique, lié à l’influence de ces membres décisionnels du Conseil d’administration, qui est prépondérant.
Indicateurs du développement mondial en 2013
Flux financiers officiels nets vers l’Afrique subsaharienne
Banque mondiale Association internationale de développement (AID) – financement concessionnel 4667,6 millions de $US Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) – financement non-concessionnel 362,5 millions de $US Fonds monétaire international FMI – Financement concessionnel 514,2 millions de $US FMI – Financement non-concessionnel -268,2 millions de $US* Banques de développement régionales Financement concessionnel 1 502,8 millions de $US Financement non-concessionnel 339,2 millions de $US Autres institutions régionales extérieurs au giron occidental (monde arabe et pays émergents) 746,1 millions de $US *Flux financiers officiels nets vers le FMI.Source : world Bank (2014). World Development Indicators 2014. World Bank : Washington D. C. La part minimale des pays émergents et celle marginale réservée à l’Afrique au sein du Conseil d’Administration des institutions de Bretton-Woods contribuent à pousser certains pays émergents à s’organiser hors du giron occidental pour créer leur propre banque de développement (Banque des BRICS, ou la nouvelle banque régionale asiatique pour le financement des infrastructures, etc.). Est-ce que les dirigeants africains seront assez courageux pour s’unir pour appuyer cette démarche de diversification de l’offre financière ? Rien n’est moins sûr compte tenu pour certains de leur niveau de dépendance militaire, économique, financière et culturelle…
5. CMK : Votre point de vue sur l’avenir des institutions de Bretton-Woods et votre mot de fin ?
YEA. Le FMI et la Banque mondiale en considérant pendant des décennies les inégalités comme un sujet tabou ont fini par se rendre compte de la triste réalité qu’ils ont contribué à pérenniser sans d’ailleurs apporter de solutions opérationnelles pour le moment. Les pays qui ont réussi à sortir une partie importante de leur population de la pauvreté sont justement les pays qui ont choisi d’ignorer les conseils des institutions de Bretton-Woods. La Chine est l’exemple qu’il faut citer. D’ailleurs, ce pays ne se prive pas de convaincre les dirigeants africains ainsi que ceux des pays émergents de s’organiser au plan mondial pour trouver des alternatives de financement du développement en marge des deux institutions de Bretton-Woods. Ils tentent, pour le moment :
- de mettre en place la Banque des pays émergents (BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud), et
- de favoriser les prêts long-terme à des conditions favorables pour l’Afrique.
Le fait de favoriser les échanges basés sur le troc ou de faire des entrées remarquées au sein de la Banque africaine de développement contribuent à améliorer la marge de manœuvre économique des dirigeants africains.
Rappelons que c’est en juillet 2014 que la banque des BRICS a été lancée au Brésil en tant que Banque internationale de développement avec un capital de 50 milliards de $US, -quatre fois inférieur à celui de la Banque mondiale-, et un fonds de réserve propre de 100 milliards de $US, -soit 10 fois moins que les 1 000 milliards engagés par le FMI-. Il ne s’agit là que d’un début vers les financements multilatéraux diversifiés.
Aussi dans un futur proche (2020), les institutions de Bretton-Woods ne pourront échapper à la diversification de l’offre financière, ni même à la création d’autres institutions concurrentes. Au niveau de l’Afrique, l’Union africaine était en passe de réussir la création du Fonds monétaire africain, de la Banque africaine d’investissement et de la Banque centrale africaine dont une partie importante du financement devait venir de la Libye du Colonel Kadhafi. Mais le destin tragique de ce dernier et les tergiversations des dirigeants africains ont relégué la naissance de ces institutions à un futur lointain même si les textes de création sont en cours d’évolution. Peut-être que le sursaut des pays africains viendrait du transfert de l’argent de la corruption et de l’évasion fiscale vers ces institutions afin de servir les populations africaines plus concrètement…
Je vous remercie.
9 avril 2015.
©Afrocentricity Think Tank.